SAÏDA KELLER-MESSAHLI
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Conférence : les réseaux islamistes en Suisse
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Conférence : quel islam pour la Suisse
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Conférence : la Suisse, plaque tournante de l'islamisme
Conférence : les réseaux islamistes en Suisse
Conférence : quel islam pour la Suisse
La Suisse, plaque tournante de l'islamisme
https://www.payot.ch/Detail/la_suisse_plaque_tournante_de_lislam
Un coup d’oeil dans les coulisses des mosquées
La
peur d’attaques terroristes se fait grandissante. Des prédicateurs itinérants
salafistes et des imams radicaux tentent d’exercer leur influence dans les
mosquées, sur la place publique au moyen de stands de distribution de textes de
propagande et par une présence régulière dans les prisons, les foyers de
réfugiés et les écoles. Ils propagent une interprétation ultra-conservatrice de
l’islam, empêchant tout renouvellement.
Saïda Keller-Messahli se penche depuis des
années sur les associations islamiques et leurs mosquées en Suisse et en Europe.
Dans son livre, elle révèle des évolutions inquiétantes. Le monde politique est
perplexe et les autorités agissent de manière naïve – alors que seule une
politique conséquente de tolérance zéro serait à même de freiner les agissements
des islamistes.
17 juillet 2018
Saïda Keller-Messahli: «Dans les mosquées en Suisse, on fait de la politique»
Saïda Keller-Messahli, musulmane laïque et présidente du Forum pour un islam
progressiste, prend la parole sur une évolution qui l’inquiète: la
radicalisation qui gangrène les mosquées suisses.
Texte Patricia
Brambilla
Entre méfiance et angélisme, les réactions face à l’islam sont souvent
émotionnelles. Saïda Keller-Messahli, présidente du Forum pour un islam
progressiste, a mené l’enquête. Et lève le voile sur les coulisses des mosquées
en Suisse en publiant un livre* documenté et éclairant. (Photo: Michael Sieber)
Saïda Keller-Messahli, votre livre*
dresse un tableau alarmiste de l’islam en Suisse. Qu’est-ce qui vous inquiète
tellement?
Je n’ai rien contre les mosquées, qu’elles soient turques, bosniaques,
somaliennes ou autres, mais le droit que l’on cède à l’islam organisé est très
souvent abusé. Pourquoi? Parce qu’on y entend des discours liberticides,
misogynes et anti-démocratiques, bref il s’agit majoritairement d’un islam à
accent et but politiques. Pour moi, ça n’a rien à faire avec la spiritualité.
Une mosquée devrait être un endroit de calme, propice au recueillement et à la
concentration. Or, dans les mosquées en Suisse, on fait de la politique: des
députés du Kosovo viennent ici et se rendent dans toutes les mosquées albanaises
pour faire de la propagande pour un parti salafiste au Kosovo. Avant
qu’Erdogan ne soit élu, j’ai aussi vu de la
propagande pour lui dans plusieurs mosquées turques en Suisse alémanique. C’est
un abus! Ce genre de discours n’a rien à faire dans un lieu destiné à offrir un
moment de paix aux visiteurs. C’est même alarmant et c’est pour cette raison que
j’ai décidé d’écrire ce livre pour expliquer les structures derrière les
mosquées.
Il n’y a pas eu d’attentat en Suisse pourtant…
Touchons du bois, mais il y en a eu plusieurs dans des pays voisins, en France,
en Belgique, en Hollande, qui ont pu être évités. Même s’il n’y a pas eu
d’attentat en Suisse, il est important de savoir quelle sorte de discours on
propose aux gens qui entrent dans les mosquées. Souvent, c’est un discours qui
va à l’encontre de toute intégration sociale, qui encourage les musulmans à
rester entre eux. Cette façon de penser est déjà un grand danger, parce que
c’est comme ça que naît et se développe le cerveau d’un futur terroriste: il
commence à voir le monde en bien et en mal, à penser que la société non
musulmane est sur le mauvais chemin devant Dieu. Cet état d’esprit l’éloigne et
le sépare intérieurement de la société dans laquelle il vit. Et c’est là qu’il
va puiser la force pour commettre des actes violents.
En quoi ce pays est-il, comme vous le dites, une plaque tournante de
l’islamisme?
La Suisse, ce tout petit pays au milieu de l’Europe, a trois cents mosquées ou
centres islamiques… Par rapport à la population, c’est plus que la Belgique. Or,
la situation en Belgique est une catastrophe. À ce point que les responsables
politiques ont eu le courage de résilier le contrat de bail des Saoudiens dans
une grande mosquée de Bruxelles… Ce qu’on ignore souvent, c’est qu’il y a des
relations étroites entre les mosquées de Suisse et de l’étranger. Mais cela se
fait à l’insu du public. Les associations de mosquées tiennent un double
discours: elles se disent pour la tolérance, l’intégration, le dialogue
interreligieux, mais sur leur financement, on n’a jamais une réponse claire et
honnête. La plupart des imams prétendent que l’argent provient des cotisations
des membres, mais il n’y a aucune transparence. Ce qui crée un malaise et une
méfiance dans la population occidentale, à juste titre.
Le titre d’imam n’est pas un titre protégé. En arabe, cela veut simplement dire
«devant»
—Saïda Keller-Messahli
La ligue islamique mondiale a-t-elle vraiment un projet de «colonisation
missionnaire et terroriste»?
Oui, elle a cette ambition missionnaire et son islam rigoureux terrorise bien
des populations entières. Les gens qui la représentent sont sûrs et certains
qu’ils arriveront à ce but, occuper le terrain et changer les règles du jeu,
d’une manière très diplomatique et très gentille, en utilisant les outils de la
démocratie. Démocratie qu’ils méprisent par ailleurs. Si on n’élève pas la voix
pour dire que ce n’est pas notre programme à nous, ils vont continuer à œuvrer
dans ce sens. Et si nous, on se laisse faire, on aura un problème dans vingt ou
trente ans. Ce sont déjà des milliers d’enfants qui sont sous l’influence des
écoles coraniques, où on leur impose une certaine image de l’homme et de la
femme. Quand vous voyez des petites filles de 3 ans porter le foulard à double
couche, en Argovie ou ailleurs, c’est un programme clairement politique. Ça leur
fait croire que la petite fille ou la jeune fille qui ne couvre pas ses cheveux
est une mauvaise femme. Ce sont des images très subtiles que l’on distille dans
la tête des enfants, qui n’ont pas encore de sens critique. Et c’est générateur
de problèmes sociaux, parce que ces enfants ne vont pas vouloir s’intégrer plus
tard. Ce sera difficile pour eux de sortir de cette manière de penser.
Quel rôle jouent les imams dans cette configuration?
L’imam, pour beaucoup de personnes un peu simples d’esprit, fait figure
d’autorité. Mais le titre d’imam n’est pas un titre protégé. En arabe, cela veut
simplement dire «devant». Ce n’est pas comme un pasteur qui a fait des études de
théologie et qui doit avoir servi. En Suisse, les imams des septante mosquées
turques sont payés par Ankara. Ils ont un statut de fonctionnaires d’État de la
Turquie. Ils n’ont même pas la liberté d’écrire ce qu’ils disent, puisque le
prêche du vendredi leur est dicté par Ankara. C’est une dépendance totale,
financière, administrative, intellectuelle et morale. Mais c’est inacceptable!
Ces imams que l’on prend pour interlocuteurs, pour parler au nom des 400 000
musulmans de Suisse, ne représentent pas la majorité d’entre eux. Près de 90%
des musulmans ne vont pas à la mosquée...
Les autorités suisses sont-elles trop naïves?
Oui, et je reproche aux autorités politiques de choisir leurs interlocuteurs en
fonction de leur organisation et non de leur contexte idéologique. Or, celui-ci
véhicule des valeurs souvent fascistes, islamistes, opposées à la démocratie. Le
Parti socialiste est pris dans un dilemme idéologique. Jacqueline Fehr, ancienne
conseillère nationale, parlait de reconnaître la communauté bosniaque, parce que
modérée. Mais c’est d’une grande naïveté! Il y a trente ans, la Yougoslavie
avait effectivement un islam modéré. Mais tout a changé avec la guerre,
l’arrivée des Saoudiens, des Turcs et des Qataris. Aujourd’hui, à cause des
prédicateurs formés en Arabie saoudite, le Kosovo a le taux de djihadistes le
plus élevé en Europe.
Faut-il reconnaître l’islam comme une communauté religieuse?
Non, parce que reconnaître l’islam signifie reconnaître les associations de
mosquées. Or, celles-ci sont un paquet opaque. Il faut d’abord un débat
critique, sans privilèges, un débat ouvert et que ces associations deviennent
plus transparentes et plus démocratiques. Par ailleurs, la Constitution suisse
garantit déjà les droits nécessaires à tous pour vivre ici. C’est ça notre
dénominateur commun, on n’a pas besoin de reconnaissances spéciales. Les
associations de mosquées souhaitent cette reconnaissance pour des raisons
financières et de valorisation de leur position. Elles auront ensuite le droit
de demander des impôts, de savoir qui est musulman et de quelle façon, de
déléguer ses membres en tant qu’aumôniers, etc.
Un islam compatible avec la démocratie, est-ce possible?
C’est seulement possible si l’islam n’est pas politique. Dès qu’il formule une
volonté de s’imposer, dès qu’il dicte à chacun comment il doit vivre, ce n’est
pas compatible avec la démocratie. La grande majorité des musulmans de Suisse
ont un islam non politique. Ces gens sont entre autres dans notre Forum: ils
croient, prient, jeûnent, mais ne le montrent jamais. Ce sont des femmes qui ne
portent pas de foulard, parce qu’elles ne veulent pas se démarquer de la
société. La religion fait partie de leur vie privée.
Croyez-vous au multiculturalisme?
Oui, je crois que c’est tout à fait possible que différentes cultures et
religions cohabitent. L’histoire nous l’a montré. Si on considère la Syrie,
c’est un pays constitué de plusieurs ethnies et religions différentes, qui ont
longtemps vécu en paix. Au Maroc, en Tunisie ou en Égypte, c’est pareil. Mais le
multiculturalisme devient une idéologie naïve quand il n’y a plus d’accord sur
des valeurs communes. Les problèmes commencent quand un groupe veut se démarquer
des autres et demande des droits qui ne sont pas prévus dans un contexte
démocratique. Cela dit, je reste optimiste, parce que la Suisse a une vraie
culture du débat et du dialogue. Ce qui est très précieux.
Quelles adaptations un État laïque doit-il concéder à l’islam?
Aucune. Par contre il faudrait régler la question de certains jardins d’enfants
clandestins dans les mosquées. De même, les écoles coraniques, où l’on apprend
des choses contraires au principe d’égalité homme-femme, sont-elles légales,
juridiquement parlant? Je trouve inacceptable d’accorder des dispenses de
piscine. Parce qu’il y a, derrière cette demande, l’éternelle volonté de séparer
les filles et les garçons. Mais laissons-les jouer ensemble, ou leur relation
sera toujours problématique. Certaines bases démocratiques doivent être
respectées.
Le foulard, aujourd’hui, est devenu une expression politique
—Saïda Keller-Messahli
Donc au nom de l’égalité, pas de burqa-niqab-foulard…
Je suis très ferme sur cette question. Dans tout le Coran, vous ne trouverez
jamais le mot «cheveu». C’est une interprétation des hommes qui veulent que la
femme mette un foulard sur sa tête. Le seul endroit dans le texte où il est
question d’une écharpe, c’est pour la poitrine. Le foulard, aujourd’hui, est
devenu une expression politique, je le vois même en Tunisie quand j’y retourne.
Celles qui portent le voile passent pour des saintes et les autres sont vues
comme des prostituées. De même je suis opposée aux salles de prière dans les
écoles. Imaginez des évangélistes qui viendraient dans les classes... L’école
publique, c’est pour tout le monde, indépendamment des appartenances
religieuses. C’est là que l’enfant peut apprendre l’intégration sociale. Il ne
faut pas accepter qu’une minorité religieuse vienne entraver ce principe
fondamental. Sinon il faut donner une salle aux musulmans, une autre aux juifs,
une autre aux chrétiens orthodoxes...
Vous tenez des positions qui vous rapprochent de l’UDC. Gênant?
Non. Moi, je ne suis d’aucun parti. Dans ma famille, du côté de mon mari, ils
étaient tous socialistes, son grand-père était même conseiller fédéral
socialiste. Moi je n’ai jamais été dans un parti, car je ne crois pas à cette
militarisation idéologique. Je crois à la liberté de pensée. Parfois l’UDC est
dans le vrai. Peut-être sa motivation et ses arguments ne sont pas les mêmes que
les miens, mais dans le fond, elle a parfois raison de mettre le doigt sur
quelque chose qui ne va pas. C’est à la gauche de résoudre ensuite le problème,
sinon c’est la droite qui va s’en occuper.
Où trouvez-vous le courage de parler à contre-courant?
C’est ma nature, je suis comme ça. Quand je vois des choses qui ne vont pas, je
veux le dire. Notre mosquée libérale à Berlin, que j’ai co-fondée, est l’objet
d’une fatwa, et
mon amie Seyran Ates vit sous protection policière. Mais j’ai appris qu’il vaut
mieux vivre sans peur. La peur peut être très négative, elle empêche d’avancer
et d’être productif. À un certain moment, je me suis dit que même s’il y a des
plaintes contre moi (Abu Ramadan, imam de Bienne, a déposé une plainte contre
Saïda Keller-Messahli, de même la mosquée albanaise de Regensdorf à Zurich,
ndlr.), tant pis! Je continue à faire mon travail, parce que je suis
persuadée que c’est un travail important, même s’il me coûte beaucoup de force
et de temps. Instinctivement, j’oublie la peur. Je veux que mon chemin soit,
malgré tout, léger et clair. Ceux qui sont pleins de haine, c’est leur
problème.
Saïda Keller-Messahli veut vivre sans peur et continuer à faire son travail,
malgré les pressions.