Publié le 08/09/2020
L'adolescente,
déscolarisée en janvier après avoir subi une vague de cyber-harcèlement
pour avoir insulté la religion musulmane, a de nouveau été prise à partie le 15
août dernier. Reconnue lors d'un séjour linguistique à Malte, Mila a été
menacée de mort et de viol "au nom d'Allah". L'agresseur a été
condamné à 1 an de prison avec sursis.
Le chemin de croix se poursuit pour Mila. Au début de l'année,
l'adolescente de 17 ans s'était retrouvée au centre d'une polémique
nationale : après avoir déclaré sur le réseau social Instagram
que l'islam était une "religion de merde", elle avait subi une
violente vague de harcèlement numérique : insultes homophobes, menaces de mort,
appels au lynchage.
En juin, trois adolescents impliqués ont été mis en examen pour
harcèlement. Sa sécurité ne pouvant être assurée, la lycéenne avait été
déscolarisée de son établissement. L'Education nationale ayant été incapable de
lui trouver rapidement un lieu de substitution, Mila est désormais "obligée
de suivre ses études dans un internat sécurisé", indique Le
Canard enchaîné qui paraît ce mercredi 9 septembre. De plus, la jeune
femme peut désormais être importunée à tout moment.
L'agresseur condamné à un an de prison avec sursis
En effet, le journal satirique révèle que Mila a été "reconnue
dans un restaurant de son hôtel" par un jeune homme le 15 août, alors
qu'elle participait à un séjour linguistique à Malte. L'intéressé lui a demandé
si elle était bien Mila, et après confirmation, l'a violemment injuriée :
le Canard enchaîné évoque des menaces "de mort et de
viol", telles que : "On va te violer dans une cave",
"Je vais violer ta mère", des insultes proférées "au
nom d'Allah", a précisé Mila. "Que je ne te revoie pas, sinon
je vais t'étrangler", a conclu l'individu vindicatif, après avoir
menacé la lycéenne de diffuser sur les réseaux sociaux le lieu où elle passait
ses vacances. Le responsable du séjour linguistique a aussitôt averti la police
et l'agresseur, qui réside en France, a été arrêté le lendemain dans sa
chambre. Il a reconnu les faits et été condamné à un an de prison avec sursis.
https://www.marianne.net/debattons/billets/l-affaire-mila-une-defaite-pour-la-republique
Philosophe, islamologue et auteur
de nombreux ouvrages.
Le dernier, Islam : quel problème ? Les défis de la réforme,
est paru en 2017 aux éditions
UPblisher (France)
et en 2018 aux éditions Afrique Orient (Maroc).
La philosophe franco-algérienne Razika Adnani revient sur l'affaire Mila et le droit au blasphème.
Pour elle, cette histoire illustre l'influence néfaste du fondamentalisme
islamique et islamiste.
Mila, une
jeune fille de 16 ans, a été harcelée par des menaces de violences et de mort parce
qu’elle a critiqué l’islam. C’est inacceptable mais aussi très inquiétant. Les
jeunes qui ont proféré ces menaces sont des Français. De jeunes Français
pensent donc que l’islam, leur religion, prime sur les valeurs et les lois de
la République qui garantissent la liberté de s’exprimer et de blasphémer. En
appelant à la violence et au meurtre, ils veulent se faire justice eux-mêmes et
ainsi se substituer au droit. Le problème est plus grave encore étant donné que
des non musulmans trouvent que Mila mérite ce qui lui arrive, car elle a provoqué par ses propos. De plus en plus la provocation
revient dans les discours pour justifier les agressions et les violences.
Ainsi, certains trouvent normal que la liberté de s’exprimer soit bafouée ou
que les individus se substituent à la justice et que chacun punisse lui-même
celui qu’il estime lui causer du mal. Voilà pourquoi cette affaire n’est pas
seulement une menace contre Mila, elle est également une menace contre la
République.
Dans une
société, les individus n’ont jamais tous les mêmes goûts, les mêmes intérêts,
les mêmes convictions ni les mêmes idées. Si tout ce qui provient de l’autre et
qui ne nous plaît pas est considéré comme une provocation, cela revient à dire
que vivre en société, c’est être constamment en situation de provoquer ou
d’être provoqué. "Si la provocation justifie la
violence, le monde dans lequel nous vivons sera un monde de violence de tous
contre tous", écrit Razika Adnani dans La nécessaire réconciliation.
Le problème réside donc moins dans les textes que dans ce qu’on en
fait
Ces jeunes
qui croient qu’il est permis de violenter ou de tuer une personne parce qu’elle
a critiqué leur religion sont influencés par un discours fondamentaliste qui
prône des normes d’organisation sociale remontant au VIIe siècle, une époque où les valeurs
sociales et politiques modernes n’étaient pas connues. Dans tous les pays où le
fondamentalisme islamique et islamiste s’est installé, sa stratégie a consisté
à affaiblir le droit et le faire reculer pour imposer sa propre loi. Le
fondamentalisme islamique et islamiste menace les fondements de l’État moderne.
Hier, il a fait échouer le projet de construction d’États modernes dans les
pays arabes et au Maghreb. Ce qui s’est passé avec Mila, et avant elle avec Hugo et beaucoup
d’autres, révèle l’ampleur de l’influence de ce courant dans la société
française ; la République et par la même la modernité sont mises à mal. Le
phénomène touche notamment l’école qui n’arrive plus à transmettre les valeurs
de la modernité et de l’humanisme, principes de la République. Le discours
religieux met en avant des versets du Coran qui appellent à la violence tel le
verset 33 de la sourate 5, "La Table Servie" : "La
seule récompense à ceux qui font la guerre à la religion de Dieu et à son
prophète, et qui provoquent le désordre sur terre, est qu’ils soient mis à mort…",
ou encore le verset 191 de la sourate 2, "La Vache" : "Tuez-les
où que vous les rencontriez et chassez-les d’où ils vous ont chassés :
l’association est plus grave que le meurtre…"
En
revanche, il néglige le verset 125 de la sourate 16, "Les abeilles",
invitant à l’échange et à la discussion : "Discute avec eux de la meilleure
façon […]", et le verset 105 de la sourate 5, "La Table
Servie", recommandant à chacun de s’occuper de ses propres actes : "Ô
les croyants ! Vous êtes responsables de vous-mêmes ! Celui qui s’égare ne vous
nuira point si vous, vous avez pris la bonne voie." Ce
choix est déterminé par la relation que ses adeptes entretiennent avec l’autre
et la représentation qu’ils se font de lui. Dans une culture où l’autre est
respecté, où sa dignité et sa liberté de s’exprimer sont des valeurs
incontournables, on ne peut que choisir les derniers versets. En revanche, dans
celle où l’autre n’a aucune valeur, où il est un ennemi méritant tous les
mauvais traitements, on choisit inévitablement les premiers. Le problème réside
donc moins dans les textes que dans ce qu’on en fait.
Les attaquer, vouloir les affaiblir, c’est scier la branche sur
laquelle ils sont assis.
Pour en
finir, ceux qui veulent imposer le respect de leur religion par la terreur, qui
préfèrent les lois de la jungle à celles de la République, doivent se rappeler
que ce sont ces dernières qui les protègent et leur permettent d’être des
citoyennes et des citoyens à part entière. Ils doivent être les premiers à
défendre la République, ses lois et ses principes. Les attaquer, vouloir les
affaiblir, c’est scier la branche sur laquelle ils sont assis.