Les Femmes Iraniennes Défient les Mollahs ; les
Féministes Occidentales Regardent Ailleurs
Par Giulio MeottI
8 août 2020
Traduction du texte original : Iranian Women Defy the Mullahs;
Western Feminists Nowhere in Sight
De courageuses femmes iraniennes sont à la pointe
du soulèvement contre le régime iranien. Elles nous remémorent l'avant de la
révolution islamique de 1979, quand le voile n'était pas obligatoire. Elles
en connaissent le prix : nombre de celles qui ont participé aux
manifestations contre le régime ont été violées et torturées en prison. Photo
: des femmes voilées apparaissent dans une émission de propagande à la
télévision publique iranienne, le 12 juillet 2014. (Photo de Behrouz Mehri / AFP via Getty
Images) |
En octobre 1979, l'ayatollah Ruhollah Khomeiny a donné l'une de ses rares interviews à
feu la journaliste italienne Oriana Fallaci. A la question : le voile est-il le symbole de la
ségrégation que la révolution islamique impose aux femmes, Khomeiny a répondu :
« nos coutumes ne vous regardent pas. Si vous n'aimez pas le vêtement
islamique, vous n'êtes pas obligé de le porter parce que le voile islamique est
fait pour les jeunes femmes honnêtes et convenables. »
« Merci de votre réponse, » a répondu Fallaci. « Et puisque vous m'en donnez la permission,
j'enlève ce stupide chiffon médiéval à l'instant ». Fallaci
retira son voile et quitta la pièce sans ajouter un mot. En retrouvant le geste
de Fallaci, les femmes iraniennes sont à la pointe du
combat contre le régime.
Peu après que le régime iranien
ait admis avoir abattu un avion de ligne
ukrainien le 8 janvier, à l'extérieur de Téhéran, des Iraniennes ont arraché les portraits du terroriste
assassiné, le général Qassem Soleimani.
Quelques heures plus tôt, les ayatollahs avaient attaqué la base d'Ain el-Assad
en Irak, qui abrite des troupes américaines. Mais avant cela encore,
la photo d'une iranienne dévoilée, Shohreh Bayat,
arbitre du Championnat du monde d'échecs féminin, est devenue virale sur les
réseaux sociaux. « Les gens devraient avoir la liberté de se vêtir comme ils le
souhaitent, aucun code vestimentaire ne devrait être imposé » a déclaré Bayat
évoquant ainsi les règles islamiques qui pèsent sur le vêtement des femmes.
« Devrais-je commencer par bonjour, au
revoir ou par toutes mes condoléances ? Bonjour, peuple iranien opprimé ; au
revoir noble peuple iranien ; toutes mes condoléances à vous qui pleurez
toujours », a écrit Kimia Alizadeh, médaille de bronze de Taekwondo aux Jeux
olympiques de Rio 2016, peu après qu'elle ait déménagé en Europe. Elle aussi a
protesté contre le « voile
obligatoire ».
Le 13 janvier, trois présentatrices
ont démissionné de la Télévision de la République
Islamique d'Iran (IRIB). « Pardonnez-moi pour les 13 années où je vous ai menti, s'est
excusé Gelare Jabbari dans un post
Instagram. Pendant plusieurs jours, les responsables iraniens ont nié que le
Corps des gardiens de la révolution islamique avait détruit un avion de
ligne ukrainien,
tuant 176 passagers et membres d'équipage.
Ces iraniennes qui font le choix de
l'exil marchent dans les pas des dissidents soviétiques qui ont franchi le
rideau de fer pour vivre en Occident. Ces dissidents ont joué un rôle
fondamental dans la défaite de l'Union soviétique : ils ont ouvert les yeux de
l'opinion publique occidentale sur la réalité de leur pays.
Les femmes iraniennes qui défient aujourd'hui ouvertement les
mollahs renouent avec une époque antérieure à la révolution islamique de 1979,
quand le voile n'était pas obligatoire. Des photos de cette époque montrent des
femmes sans voile. Du jour au lendemain, les iraniennes sont passées « de la mini-jupe au hijab ».
« Je suis au regret de dire que le
tchador a été imposé aux femmes », a déclaré Zahra Eshraghi,
petite-fille de l'ayatollah Khomeiny. « Il est devenu obligatoire - dans les
édifices publics, dans l'école que fréquente ma fille. Ce vêtement qui était
une robe iranienne traditionnelle a été transformé en symbole d'une révolution.
»
La dernière impératrice d'Iran, Farah Diba, a rappelé qu'« à son époque, les femmes
étaient actives dans toutes sortes de domaines. À un moment donné, le nombre de
femmes à l'université a même été supérieur à celui des hommes ». Mais bien
qu'elles soient « maintenant maltraitées et dédaignées, bien que leurs droits
soient bafoués, les femmes agissent de manière incroyablement courageuse ».
Il existe une photo de 1979 qui montre
les femmes descendues dans la rue pour protester contre le port obligatoire du
voile. « Elle a été prise le 8 mars 1979, au lendemain de l'entrée en vigueur
de la loi sur le hijab qui imposait aux femmes le port
d'une écharpe pour leurs déplacements urbains » a expliqué le photographe Hengameh Golestan. « Beaucoup de
gens à Téhéran se sont mis en grève et sont descendus dans la rue. C'était une
énorme manifestation avec des femmes - et des hommes ... Nous nous battions
pour la liberté ». Depuis cette date, les femmes ne sont plus sorties à
découvert.
À l'époque, 100 000
femmes avaient
protesté contre le régime islamiste. Aujourd'hui, de courageuses femmes
iraniennes sont à la pointe du soulèvement contre le régime iranien. Elles en
connaissent le prix : nombre de celles qui ont participé aux manifestations
anti-régime ont été violées
et torturées en
prison. Les mollahs surveillent 40 millions de femmes iraniennes car ils savent
que si ces femmes se rebellent ensemble contre la charia, la révolution
islamique implosera. Cette peur explique peut-être pourquoi le régime charge
l'Occident de tous les maux.
Quand l'actuel "Guide"
suprême de l'Iran, l'ayatollah Ali Khamenei, a défendu publiquement le voile, il a
accusé les « ennemis » de l'Iran d'avoir « trompé une poignée de filles pour
qu'elles retirent leur hijab dans la rue ». En 2009, le symbole des
manifestations iraniennes était Neda
Agha-Soltan, assassinée par le régime. Le cas de Sakineh Mohammadi Ashtiani, une Iranienne
condamnée à mort par lapidation pour un soi-disant « adultère », a déclenché
des rassemblements en France, qui pourraient avoir joué un rôle dans sa
libération. Il y a deux ans, une autre Iranienne, Vida Movahedi, est devenue un symbole de défi après qu'elle ait agité un foulard
blanc.
Des livres sur la dissidence iranienne
- tels que Persépolis et Lire
Lolita à Téhéran -
ont été écrits par des femmes. Les femmes sont à la pointe du combat contre les
ayatollahs. Parmi les 1 500 personnes tuées par le régime à
l'occasion des dernières émeutes, il y avait environ 400 femmes a indiqué un communiqué du ministère
de l'Intérieur iranien repris par Reuters.
Selon la romancière irano-française Chahla Chafiq :
« Leur acte nous interpelle avant tout
sur l'ordre infernal que la République islamique instaure en sacralisant, au
nom de dieu, les discriminations et les violences faites aux femmes. La
diabolisation du corps des femmes comme lieu de péché, symbolisé par l'obligation
du port du voile, implique une série d'interdictions qui altèrent la vie des
femmes, soumises à de constantes humiliations et souffrances. »
Une avocate des droits humains, Nasrin Sotoudeh, qui a défendu
des femmes en lutte contre le voile, a été condamnée en mars à 38,5 ans de prison,
avec une peine incompressible de 12 années de prison. Les activistes Yasaman Aryani, sa mère Monireh Arabshahi et Mojgan Keshavarz, ont été arrêtées pour avoir diffusé une vidéo qui
les montre sans voile et distribuant des fleurs aux passagers. Trois femmes
accusées de « non-respect du hijab obligatoire » ont été condamnées à 55 ans de réclusion. Shaparak Shajarizadeh, 43 ans originaire de Téhéran, a été condamnée à deux ans de prison pour s'être
montrée tête nue dans l'espace public. Azam Jangravi, qui a agité son foulard au-dessus de sa tête dans
une rue animée de Téhéran, a déclaré qu'elle avait agi ainsi pour sa fille âgée
de huit ans. « Je me suis dit : 'Viana ne devrait pas grandir dans des
conditions identiques à celles que l'on m'a infligées quand j'avais son âge' »,
a-t-elle expliqué.
Les mollahs iraniens semblent prêts à
tout pour casser le mouvement des femmes. Des femmes, qui ont partagé des
vidéos les montrant tête nue, ont été condamnées à 10 ans de prison. La « police
des mœurs »
chargée de briser le mouvement des femmes a embauché 2 000 nouvelles recrues.
Le régime iranien diffuse également des vidéos de propagande sur le hijab. Une fille qui s'est déguisée en homme pour
assister à un match de football à Téhéran, s'est immolée par le feu peu après
son procès. Les femmes iraniennes ont « le taux de suicide le plus
élevé au sein de la population féminine du Moyen-Orient». Soixante-dix pour cent
des suicides en Iran sont commis par des femmes que le régime
opprime directement.
Mais le voile n'est pas le seul
problème des femmes. Danser, chanter, jouer de
la musique ou serrer
la main des
hommes sont aussi des activités à risque. Avant 1979, les femmes iraniennes
étaient libres. Elles veulent le redevenir.
« La flamme du féminisme est vivante en
Iran », a rapporté Foreign
Policy. Les féministes iraniennes qui refusent de porter le hijab sont
courageuses, tandis que leurs homologues occidentales, qui portent des chapeaux
roses, et les abandonnent sont des misérables. Federica Mogherini, ancienne
Haute représentante de l'Union européenne pour les affaires étrangères, porte
un tchador pendant les visites officielles en Iran, prend
des selfies avec
les législateurs iraniens, et n'a jamais eu un mot sur ces extraordinaires
femmes iraniennes.
Masih Alinejad,
qui a aidé à populariser la lutte des femmes iraniennes contre le port
obligatoire du voile, a interpellé les femmes politiques
occidentales qui cachent leurs cheveux quand elles voyagent en Iran : « Je
serai claire avec vous : considérer qu'une loi discriminatoire est partie
intégrante de notre culture - est une insulte à toute notre nation ». Le régime
iranien n'a pas tardé à arrêter des membres de sa famille.
La loi qui a institué la lapidation des
homosexuels au Brunei a provoqué un tollé
international. Mais
l'Iran peut bien tuer des
homosexuels et
pendre des femmes pour « adultère », pas un sourcil ne frémit en
Occident. Pourquoi la barbarie iranienne y est-elle si facilement tolérée ?
La révolution iranienne de 1979 a créé
le premier État moderne fonctionnant sur des principes islamiques. Les
ayatollahs ont prouvé que la charia n'empêchait pas de gouverner et permettait
même de construire une théocratie musulmane. L'assujettissement des femmes a au
coeur de ce système.
Il y a trente ans, le mur de Berlin est
tombé parce que des citoyens ordinaires ont voulu recouvrer leur liberté de
circulation. Aujourd'hui, le mur du régime iranien pourrait être abattu par ces
femmes ordinaires qui veulent retrouver la liberté de s'habiller comme elles
l'entendent. Courageusement, elles refusent de piétiner les drapeaux d'Israël
et des États-Unis - et réclament le droit de jouir du vent dans leurs cheveux.
Giulio Meotti,
journaliste culturel à Il
Foglio, est un journaliste et auteur italien.
Images
d’une vidéo YouTube de la mort de Neda Agha-Soltan. Les sites Web de l’opposition et les chaînes de
télévision ont diffusé à plusieurs reprises la vidéo, qui montre du sang
jaillissant de son corps à sa mort....Youtube
Par Nazila Fathi
TEHRAN Il faisait chaud dans la voiture, alors
la jeune femme et son professeur de chant sont sortis pour une bouffée d’air
frais dans une rue tranquille, non loin des manifestations antigouvernementales
auxquelle ils s’étaient aventurés à assister. Un coup
de feu retentit et la femme, Neda Agha-Soltan, tomba au sol. « Cela m’a brûlée », dit-elle avant
de mourir.
La vidéo sanglante de sa mort samedi, diffusée en
Iran et dans le monde entier, a fait de Mme Agha-Soltan,
une jeune fille de 26 ans qui, selon des proches, n’était pas politique, un
symbole instantané du mouvement antigouvernemental.
Sa
mort suscite une grande indignation dans une société imprégnée de la culture du
martyre, bien que le mot lui-même soit discrédité parce que le gouvernement a
souligné la mort des martyrs de soldats iraniens dans la guerre Iran-Irak pour
justifier des mesures répressives.
Le
sort de Mme Agha-Soltan résonne particulièrement chez
les femmes, qui ont été à l’avant-garde de nombreuses manifestations dans tout
l’Iran.