Barbarie de la loi islamique
Les Versets sataniques
, le « blasphème » de Rushdie

 

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Des femmes et des enfants du Hezbollah manifestent contre Salman Rushdie, à Beyrouth, le 26 février 1989. 

NABIL ISMAIL/AFP ImageForum/NABIL ISMAIL/AFP ImageForum

 

CES LIVRES QUI ONT FAIT SCANDALE (7/24) - La publication du livre de Salman Rushdie fera de l'auteur, condamné à mort en 1989 par une fatwa de l'ayatollah Khomeyni, le symbole de la liberté d'expression.

 

Par Anne Fulda

 

Publié le 15 juillet 2012

 

C'est le 26 septembre 1988 que paraît le troisième livre de Salman Rushdie, Les Versets sataniques. L'auteur n'est pas un inconnu. Les Enfants de minuit, son premier roman, a reçu en 1981 le Booker Prize, équivalent du Goncourt français, et son deuxième ouvrage, La Honte, a également connu un vrai succès d'estime. Quand paraissent Les Versets sataniques Rushdie a donc déjà un nom. Son livre commence bien sa carrière en Grande-Bretagne et doit être publié aux États-Unis, en France et en Italie. Cependant, rapidement, se développent ici et là des campagnes visant à interdire l'ouvrage. La raison de cet émoi ? La description, jugée irrévérencieuse, qu'il y fait du prophète de l'islam, Mahomet.

Un autodafé en Grande-Bretagne

Jugeant le livre injurieux pour le Coran, l'Inde interdit le livre, en octobre l'Afrique du Sud lui emboîte le pas, puis, les semaines suivantes, le Pakistan, l'Arabie saoudite, l'Égypte, la Somalie, le Bangladesh, le Soudan, la Tunisie, la Malaisie, l'Indonésie et le Qatar. Le 14 janvier 1989, suite à un rassemblement de 1500 musulmans à Bradford, une grande ville industrielle du nord de l'Angleterre, des exemplaires du livre «blasphématoire» sont brûlés sur la place publique. Au nom d'Allah. Un autodafé en Grande-Bretagne! Rushdie, estomaqué, lâche: «D'abord, ils brûlent les livres, ensuite les librairies et ensuite ils brûlent les écrivains.» La petite brise protestataire des débuts qui donnait au livre la dimension scandaleuse qui fait parfois les best-sellers se transforme en vent mauvais. L'éditeur anglais du livre reçoit des centaines de lettres dénonçant le blasphème et criant au sacrilège. W.H. Smith, la plus grande chaîne de librairies en Angleterre, décide de retirer le livre de la vente dans la région.

Dans l'Angleterre thatchérienne, le monde de l'édition s'émeut, la presse se mobilise. Le débat arrive même à la Chambre des communes, où un député travailliste propose l'extension à l'islam de la loi contre le blasphème. C'est l'annonce de la publication du livre aux États-Unis qui met le feu aux poudres. Au Pakistan, des milliers de personnes attaquent le 10 février le centre culturel américain d'Islamabad en jetant des pierres et en hurlant « Chiens d'Américains ! » « Pendez Rushdie! » La police tire : cinq morts, une quarantaine de blessés. Une manifestation en Inde, à Srinagar, fait aussi un mort et cinq blessés. C'est à ce moment-là que l'Iran entre en scène. Le 14 février 1989, l'ayatollah Khomeyni condamne à mort le romancier britannique. La fatwa est sans équivoque: elle demande à tous les musulmans du monde d'exécuter rapidement l'auteur et les éditeurs du livre, «où qu'ils se trouvent». Le piège se referme.

L'écrivain, désigné comme l'homme à abattre car auteur d'un livre «qui offense l'islam, le prophète et le Coran» est placé sous la protection de Scotland Yard. Il quitte son domicile de Londres et réside dans un lieu tenu secret avec sa femme. Le lendemain de cette fatwa, Christian Bourgois, l'éditeur du livre en France, annonce sa décision de surseoir à la publication de l'ouvrage, avant de le publier en juillet. De Londres, le 18 février, Rushdie tétanisé face à la tempête, exprime ses profonds regrets pour l'embarras qu'il a causé « aux vrais fidèles de l'islam ». Cela ne suffit pas. Khomeyni affirme que Rushdie ne sera pas pardonné. L'affaire enflamme les places diplomatiques et se transforme en bras de fer entre l'Iran et l'Occident. Le 20 février 1989, à l'initiative de la France et de la RFA, la CEE décide de rappeler en consultation ses ambassadeurs en poste à Téhéran et le président américain George Bush apporte son ferme soutien à cette initiative.

Comme un animal traqué

Aux États-Unis, des auteurs comme Susan Sontag ou Tom Wolfe (l'auteur du Bûcher des Vanités) organisent des lectures publiques du livre. En France, où l'on s'apprête à fêter le bicentenaire de la Révolution française en pleine «tontonmania» l'intelligentsia se mobilise contre cette atteinte à la liberté d'expression, tandis que le cardinal Decourtray, archevêque de Lyon, dresse un parallèle avec l'émoi provoqué quelques mois plus tôt lors de la sortie du film de Scorsese La Tentation du Christ et exprime sa solidarité aux musulmans français (une position que prendra aussi en Grande-Bretagne l'archevêque de Canterbury, le primat de l'Église anglicane).

 

Le 26 février 1989, une manifestation, organisée à Paris, marque les esprits. Un millier de musulmans intégristes crient « Nous sommes tous des khomeynistes » ou « à mort Rushdie!, à mort le Satan! » Le gouvernement réagit d'abord assez mollement.

 

 Par un communiqué, Michel Rocard, premier ministre, indique que « tout nouvel appel à la violence ou au meurtre (…) donnera lieu à la mise en œuvre immédiate de poursuites judiciaires conformément à la loi », tandis qu'Alain Juppé dénonce cette espèce de « retour au fanatisme et à la barbarie d'un autre âge ».

La violence continue. En mars 1989, le recteur de la mosquée de Bruxelles, qui avait fait preuve de modération, est assassiné. Puis c'est au tour des traducteurs italien et japonais de Rushdie d'être poignardés. Rushdie vit désormais comme un animal traqué. En clandestin. Il lui faudra près de vingt ans pour oser affirmer « désormais je n'ai plus peur ».