Mobilisation
des préfets contre l’islamisme, pas en avant ou pas d’amalgame ?
Par Aurélien Marq
- 4 décembre 2019.
Au
Ministère de l'intérieur, séminaire des Préfets contre l'islamisme le 28
novembre
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NICOLAS MESSYASZ/SIPA Numéro de reportage:
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La timidité face à l’islamisme ne permettra pas
d’en venir à bout. Aurélien Marq, polytechnicien,
haut-fonctionnaire en charge de questions de sécurité, dévoile les cinq
problèmes que Christophe Castaner doit résoudre.
Jeudi 28 novembre, Christophe Castaner a réuni
125 préfets place Beauvau pour leur déclarer que « la radicalisation et
le terrorisme [étaient] les symptômes les plus graves d’un mal plus profond qui
touche trop de nos quartiers. »
Il ajouta : « Je veux parler
de l’islamisme et du communautarisme. » Belle évolution de la part
d’un ministre qui, il y a moins de deux mois, affirmait au Sénat : «
Chacun ici sait que personne ne fait de lien entre la religion musulmane et le
terrorisme, ni même entre la religion musulmane, la radicalisation, et le
terrorisme. »
Hydre islamiste,
droit devant !
Alors, cette « action coordonnée pour lutter contre la
radicalisation et recréer la cohésion sociale », prise de conscience
salutaire ou poudre aux yeux ? C’est que les Français finissent par se
lasser des déclarations d’intention jamais suivies d’effets, à l’image de ce
que furent les discours d’Emmanuel Macron aux obsèques d’Arnaud Beltrame, puis
un an plus tard sa déclaration sur « l’hydre islamiste ». Pour
dépasser ce stade, les mesures du ministre de l’Intérieur devront surmonter
cinq problèmes : un problème de cohérence, un problème judiciaire, un
problème culturel, un problème d’analyse de fond, et un problème de sens.
A lire aussi : Attentat
à la Préfecture : c’est trop facile d’accuser Castaner
Problème de cohérence : l’Etat ne peut pas prétendre
lutter contre le communautarisme si « en même temps » il en tolère
voire en finance la promotion. Que deviennent les avantages fiscaux dont
bénéficie le Qatar ? Pourquoi concentrer la méfiance sur RT France plutôt que sur AJ+ ? Où en
est l’interdiction des Frères Musulmans et de leurs
affidés ? Parle-t-on enfin de la dissolution du CRAN et de la LDNA ? Et du PIR ?
Qu’en est-il des subventions abondamment versées à l’UNEF ? Aux syndicats qui ont soutenu la « marche
contre l’islamophobie » ? A Sud rail, dont un représentant lors de
cette marche de la honte a revendiqué le droit de ne pas serrer la main des
femmes ? Et je pourrais y ajouter ces innombrables associations locales
bénéficiant des largesses municipales – les élections approchent – et du
clientélisme électoral, dont chaque « affaire du voile » nous
rappelle la nocivité. A propos du voile, la neutralité du temps scolaire et des
accompagnateurs, où en est-ton ? LREM est
contre…. Au fait, Aurélien Taché est toujours membre de la majorité ?
Problème juridique et judiciaire : combattre
l’infiltration endémique des islamistes et des communautaristes dans des
milieux professionnels et/ou associatifs, c’est se heurter aux lois contre les
discriminations, ou du moins à leur interprétation par certains magistrats pour
lesquels « la société » est par nature toujours coupable. Comme l’expliquait
Mohamed Sifaoui, 10 jours avant l’attentat de la
Préfecture de Police l’administration n’aurait pas pu licencier Mickaël Harpon,
la justice y aurait vu discrimination d’un « racisé » handicapé
converti à l’islam ! Que faut-il donc penser d’un combat contre l’islamisme
qui « en aucun cas ne devra avoir pour effet de stigmatiser une
personne ou un groupe de personnes à raison (…) de leur appartenance à (…) une
religion déterminée, ni de s’apparenter à une quelconque discrimination. » Faut-il
appliquer aux bouddhistes la même méfiance qu’aux salafistes ? Faut-il
mettre sur le même plan le Tao Te King et les livres sur le tawhid
proclamant que tous les non-musulmans sont voués à l’enfer éternel ?
C’est aussi se heurter à des réseaux qui ne manquent pas de moyens financiers
et n’hésitent pas à recourir au jihad judiciaire. La Garde des Sceaux, Nicole Belloubet, était présente au séminaire organisé par son
homologue de l’Intérieur. Va-t-elle donner des directives pour inciter les
magistrats à faire usage de l’article 472 du Code de Procédure Pénale
concernant l’abus de droit, pour contraindre les adeptes du jihad judiciaire à
prendre en charge les frais de justice de leurs victimes ?
La peur, notre plus
grande faiblesse?
De plus, lorsque le ministre de l’Intérieur déclare vouloir une
politique de mixité sociale, qu’il se souvienne qu’en l’absence de fermeté
judiciaire cela revient à mélanger les moutons et les loups : lorsque la
peur de la sanction ne remplit plus son rôle, le « vivre ensemble »
n’est qu’un jeu de massacre.
Problème culturel : l’État peut beaucoup, mais il
ne peut pas tout, et les Français auraient grand tort de se défausser de leurs
responsabilités sur lui. La peur de l’accusation d’islamophobie est notre plus grande faiblesse, et la plus grande arme de nos
ennemis : elle interdit de voir ce que l’on voit, et plus encore de dire
ce que l’on voit. Elle sert à faire taire les musulmans réformateurs comme les
apostats de l’islam, elle sert à entretenir le déni, elle conduit à sacraliser
l’intolérance. Mais elle n’est forte que si nous sommes faibles, que si
collectivement nous choisissons de nous y soumettre.
A lire aussi, Elisabeth Lévy : Charlie
Hebdo caricatural?
Chacun d’entre nous a le devoir d’oser la vérité, de la dire, de
l’écrire, autour de nous, sur les réseaux, dans les médias, auprès des élus, et
par-dessus tout auprès des plus jeunes pour les mettre en garde. Contre les
mensonges qu’ils ne manqueront pas d’entendre. Contre les « safe spaces » par lesquels
les universités courtisent les dogmatismes au lieu d’encourager au
questionnement. Contre la tentation de la censure.
Problème d’analyse de fond : Alors même que Christophe Castaner annonçait un « changement de
paradigme », la préfecture du Rhône invitait à « mieux
faire connaître l’islam dans la société civile, notamment via les
médias. » La seule question qui vaille est donc celle-ci :
qu’entend le gouvernement pas « mieux faire connaître
l’islam » ?
S’agit-il de populariser et diffuser l’approche historico-critique, afin
d’encourager l’indispensable prise de distance par rapport aux textes dits
sacrés dont l’islamisme n’est que la rigoureuse et stricte application ?
De faire connaître les analyses de Souâd Ayada, le « Coran des historiens » récemment
publié, ou le travail de Yadh Ben Achour sur l’islam
et les droits de l’Homme ?
Ou s’agit-il au contraire de contribuer à répandre le discours lénifiant
du « cépaçalislam », légende hagiographique
dont le seul objectif est d’éviter à l’islam de faire face à sa responsabilité
dans l’existence et la puissance de l’islamisme ? Ce mensonge peut sembler
sympathique mais le perpétuer a pour seul effet d’aider l’islamisme à se
dissimuler dans l’islam, à y rester lové, toujours prêt à ressurgir à la
moindre occasion.
Car enfin, il faut le dire et le redire : si l’islam n’est pas
réductible à ce que l’on appelle couramment l’islamisme – en fait l’islam
littéraliste théocratique – ce totalitarisme fait partie de l’islam, et ce
depuis l’origine. « L’islamisme est la maladie de l’islam, mais
les germes du mal sont dans le texte » disait Abdelwahab
Meddeb, phrase que le ministre de l’Intérieur chargé
des cultes ferait bien de méditer chaque jour, au lieu d’affirmer comme il le
fait que « en aucun cas je ne mets l’islam dans cette pyramide de
la violence » et d’écrire que l’islam politique « détourne
une religion de ses fondements. » La destruction du sanctuaire de
Taëf en 632 sur ordre du Prophète, et le choix de
« la conversion ou la mort » imposé aux Banu Thaqif
qui en avaient la garde, seraient donc un détournement de l’islam par son
propre fondateur ? Et le fait de promouvoir sans recul critique le
« bel exemple » du « meilleur des hommes » qui s’est marié
avec une fillette de 6 ans, Aïcha, et a utilisé une prisonnière de guerre, Safiya, comme esclave sexuelle, détournement ?
Réhabiliter
l’identité nationale ?
Assez de faux semblants ! Bien sûr, l’islam n’est pas seulement
l’islamisme, et nos concitoyens musulmans ne sont pas seulement musulmans, mais
des hommes et des femmes doués de sens moral et de responsabilité individuelle.
Et justement : il leur incombe de faire face aux réalités déplaisantes, et
il incombe à tous de comprendre qu’ils en sont capables et donc de l’exiger
d’eux. Quelles réalités ? Celle-ci, par exemple : les seuls pays au
monde à punir de mort le blasphème et l’apostasie sont 13 pays musulmans
agissant au nom de l’islam et se référant à ses textes saints. Et presque partout
où l’islam est dominant, l’apostasie est illégale et les droits des
non-musulmans sont bafoués.
A lire aussi, témoignage d’une ancienne salafiste: « Dans
l’islam, on cherche seulement à obéir, et surtout ne pas être puni »
Il y a des musulmans humanistes, et qui tentent de créer un islam
humaniste – ou un humanisme spirituel s’exprimant dans le langage symbolique
des cultures d’islam. Ceux-là ont en commun d’assumer le même devoir de
lucidité : l’obscurantisme wahhabite, l’impérialisme fréro-salafiste,
la sauvagerie jihadiste ont tout à voir avec l’islam ! Comment espérer en
extirper ces monstruosités – ou créer un islam régénéré qui en soit délivré –
sans admettre d’abord que pour l’instant elles font partie de lui ?
Problème de sens, enfin : on ne peut pas lutter contre le
communautarisme sans donner envie d’appartenir à la communauté nationale. Et
cela ne passe pas par les milliards d’euros déversés dans une « politique
de la ville » jusqu’ici notoirement inefficace, mais avant tout par le
fait de donner le goût et la fierté de cette appartenance. Cessons de mépriser
les habitants des « quartiers » : ils ont le droit de vouloir de
la France autre chose que « du pain et des jeux » – des allocations
et une connexion à Netflix. Ils ont le droit d’exiger de nous que nous leur
proposions de rejoindre ce qui a fait et fait encore la grandeur de la France.
Un simple espace géographique de transit, un « hub » économique ou
une start-up nation ne sauraient combler le besoin
d’appartenance de l’être humain. Il faut réhabiliter l’identité française.
Réhabiliter et non sacraliser, mais réhabiliter tout de même.
N’est-il pas surréaliste qu’en France la seule identité que l’on n’ait
pas le droit de revendiquer fièrement soit l’identité française – à part lors
des matchs de coupe du monde, et encore ? La culpabilisation permanente de
l’Occident est le principal terreau du communautarisme : elle pousse ceux
qui le peuvent à embrasser des identités alternatives, et désarme moralement
ceux qui ne peuvent être qu’occidentaux.
Certains prétendent mettre de côté l’art de vivre et les traditions
françaises pour mieux accueillir ceux qui viennent d’ailleurs. Mensonge !
On ne se sent pas bien accueilli lorsque l’on entre dans une maison vide.
Toutes les civilisations de ce monde ont du sang sur les mains ! Au moins
la nôtre a-t-elle la lucidité de ne pas se croire parfaite, et c’est peut-être
sa plus grande noblesse à condition qu’elle trouve la force de se tenir la tête
haute malgré tout.
Héritiers de l’Antiquité, de la Chrétienté et des Lumières, du Parthénon
et des cathédrales gothiques, de Socrate et de Victor Hugo, nous sommes les
dépositaires de quelque chose qui nous dépasse et que nous avons le devoir
d’enrichir et de transmettre. Et si nous perdons cela de vue le combat contre
l’islamisme et le communautarisme sera voué à l’échec.