Tareq Oubrou, une colombe qui couve
des vautours ?
3 décembre 2020
Par Mohamed LOUIZI
Des médias affirment
que l’islamiste Tareq Oubrou
n’est plus Frère musulman. Pour valider cette thèse, ils mettent en avant la «menace
de mort» qui le vise, émise en 2016 par l’organisation terroriste
Etat Islamique (Daesh). En 2016, faut-il le rappeler, Tareq
Oubrou était toujours membre de l’UOIF, l’une des
branches en France des Frères musulmans, rebaptisée
«Musulmans de France». L’annonce de son présumé départ est survenue
le 14 mai 2018 : deux ans après la menace de Daesh. Cette chronologie
signifie qu’il n’a pas été menacé parce qu’il aurait cessé d’être islamiste. La
raison est à chercher ailleurs. J’y reviendrai. Ces deux assertions médiatiques
largement relayées, sans vérification, agissent ensemble, tel un double
argument d’autorité pour faire silence sur les nombreuses ambiguïtés de Tareq Oubrou et pour inhiber tout
réflexe de prudence à son égard. Le présent article déconstruit conjointement
ces deux assertions et livre des éléments factuels vérifiables qui prouvent que «le loup perd la fourrure mais pas le vice»,
comme le répétait ma grand-mère.
Si Tareq Oubrou est menacé par
Daesh, il va de soi que la France et le Maroc lui doivent protection, au titre
de sa double-nationalité. Cela étant dit, je ne partage pas l’interprétation
simpliste et binaire que donnent des journalistes et des chroniqueurs
bien-pensants de cette menace. En effet, quand on est au fait de la guerre
civile sanglante qui a opposé les frères-ennemis en Afghanistan, après le
retrait des forces militaires soviétiques en 1989, on sait que les pires
violences qu’infligent les islamistes aux non-musulmans, ils les infligent
aussi aux musulmans, jugés «mauvais», et aux autres
islamistes qui les concurrencent, directement ou indirectement, sur le marché
de Dieu. Les conflits militaires entre les
troupes de Gulbuddin Hekmatyar et celles d’Ahmad Shah
Massoud ne sont qu’un exemple parmi tant d’autres. Et pourtant, face à l’ours
russe, les deux faisaient cause commune, soutenus paraît-il, par le Ciel, ses
anges et ses forces paranormales !
Dans le cadre du
conflit syrien en 2013, Youssef al-Qaradawi, le pape
des Frères musulmans qui inspire tant Tareq Oubrou dans son artifice trompe-l’œil de ladite «charia
des minorités», avait appelé depuis la chaîne al-Jazeera au Qatar à tuer un prédicateur
syrien, Saïd Ramadan al-Bouti, au motif que ce
dernier aurait soutenu le régime de Bachar el-Assad. Quelques jours plus tard,
des jihadistes frérosalafistes assassinèrent al-Bouti lors d’une causerie au sein de sa mosquée. On ne peut
qu’établir un lien de causalité entre cette fatwa, relayée par al-Jazeera, et
l’assassinat d’al-Bouti. Le 13 juin 2013, Youssef al-Qaradawi avait lancé l’appel au jihad armé en Syrie, en
s’associant à des wahhabites saoudiens depuis un hôtel cinq étoiles au Caire
sous le regard bienveillant du président frériste
Mohamed Morsi. Les troupes de jihadistes ont afflué
de partout vers la Syrie par le vestibule turc, pour répondre à l’appel de
l’épée, créant ainsi les conditions optimales de la proclamation officielle de
Daesh, un an plus tard.
Cela n’a pas empêché
Daesh d’excommunier une quinzaine d’islamistes wahhabites et
Frères musulmans, en 2016, parmi lesquels se trouvent Youssef al-Qaradawi ainsi que d’autres islamistes fréristes
et wahhabites qui ont signé l’appel au jihad armé du 13 juin 2013. Cette
excommunication daechienne fait-elle de ces
islamistes pro-jihad armé des enfants de chœur ? La réponse est non. Que
reproche cette organisation terroriste à ces prédicateurs islamistes
sulfureux ? Elle leur reproche, je cite, de «ne pas avoir traduit leurs
connaissances religieuses en jihad armé sur le terrain».
Elle juge que ces prédicateurs sont malhonnêtes et hypocrites et considère que «les honnêtes savants sont ceux qui participent au ribãt et qui vont aux fronts». Le terme «ribãt», en arabe, désigne cet «édifice conventuel pour les combattants de la foi».
Sait-on que Daesh a
excommunié le groupe terroriste al-Qaïda en 2018, en lui reprochant
de collaborer avec les Frères musulmans ? Al-Qaïda peut-elle utiliser
cette fatwa de Daesh contre elle pour prétendre être devenue, à l’occasion,
l’héritière de Gandhi ou la légataire de la mère Térésa ? Sait-on que
Daesh a menacé de renverser le pouvoir islamiste du Hamas palestinien, en
2015, en l’accusant de ne pas appliquer «les règles de la charia» dans la
bande de Gaza ? Le Hamas palestinien peut-il se servir de la fatwa daeshienne contre lui pour réclamer auprès du Conseil de
l’Europe son retrait de la liste des groupes terroristes ?
Ainsi, si ni Youssef
al-Qaradawi, ni les prédicateurs frérosalafistes
et wahhabites pro-jihad armé, ni al-Qaïda, ni le Hamas ne peuvent se servir des
fatwas daeschiennes les visant pour s’autoblanchir,
restaurer une image aux yeux du monde et espérer se refaire une beauté en
appuyant sur le bouton «Reset», l’islamiste Tareq Oubrou et ses acolytes ne peuvent pas non plus se servir de
cette fatwa pour réclamer qu’on leur donne un blanc-seing qui couvrirait leur
activisme islamiste, ici, maintenant et pour longtemps. Les conflits
fratricides pour s’emparer du butin d’une guerre, d’un pouvoir sur un
territoire ou du contrôle hégémonique de l’autorité religieuse, sont loin
d’être de simples faits isolés. Ces guerres fratricides commencent par des
fatwas, des excommunications réciproques, et se terminent dans des bains de
sang. L’islamisme n’est pas l’apanage exclusif de Daesh.
Les guerres de
religions n’ont pas touché uniquement la France et l’Europe. Elles sont inscrites
dans l’ADN de l’islam politique califaliste depuis la
nuit du temps. Des siècles avant le Massacre de la Saint-Barthélemy, le 24 août
1592, le Massacre d’al-Harra, en 683, eut lieu à
Médine en Arabie, la ville de Mahomet, quelques dizaines d’années seulement
après sa mort. Après l’assassinat du petit-fils du prophète, l’omeyyade Yazid
ibn Muawiya, entouré de religieux inféodés et émetteurs de fatwas à la carte et
surtout d’une armée de jihadistes, y a torturé et tué des milliers de
musulmans, violé leurs femmes et pillé leurs biens. Ensuite, il s’est dirigé
vers la Mecque pour l’assiéger. Il a catapulté le premier lieu saint de
l’islam. La Ka’ba fut endommagée. L’étoffe qui recouvrait ses murs fut brûlée.
On compte de nombreux morts au sein même de ce sanctuaire millénaire. En 692,
la Ka’ba fut attaquée à nouveau par les omeyyades. A nouveau catapultée et
brûlée. Le dissident Abdallah ibn az-Zubayr fut
décapité en son sein, sa tête envoyée au roi Abdelmalik
ibn Marwan. Son corps fut crucifié. Il avait presque soixante-dix ans. Tout
cela pour le pouvoir et la domination. Les racines de Daesh sont anciennes. Le
nuancier islamiste couvre une large palette qui va de celui qui utilise des
armes à celui qui fait du lobbying dans des
salons feutrés.
Par ailleurs, après
35 ans d’activisme islamiste au sein de l’UOIF, le 14 mai 2018, le site frériste Saphir News eut la primeur d’annoncer le départ de Tareq Oubrou de «Musulmans de
France» (ex-UOIF). Ce site posa des questions à l’imam de la mosquée
al-Houda (située à Bordeaux) pour connaître les raisons de ce départ, en
prenant soin de préciser dans l’accroche de l’interview que «Tareq Oubrou
revient ici sur les raisons de son départ et les relations qu’il continuera
d’entretenir avec la structure.» Dès lors, peut-on parler d’une rupture
totale et consommée ? La réponse est non. Lui-même indique qu’il «ne
s’agit pas d’une rupture» et qu’il «reste
toujours en relation avec l’institution [des Frères musulmans] pour
partager, dit-il, [ses] convictions et [ses] travaux… » Il
a expliqué les raisons de sa prise de distance par rapport à l’ex-UOIF et non
par rapport à l’idéologie des Frères musulmans. Ce n’est pas la même chose. Un
footballeur qui change d’équipe lors du mercato estival reste footballeur. Une
évidence.
Les divergences
internes en termes de vision d’avenir et de priorités d’action entre les Frères
musulmans de Bordeaux et les Frères musulmans de Lille, qui dirigent l’organisation
depuis 2013, peuvent expliquer, en partie, cette décision. La prétendue «école [islamiste] de Bordeaux»
a toujours entretenu une distance apparente avec le clan de Lille-Sud, uni
autour d’Amar Lasfar. Je rappelle aussi que la mouvance des Frères musulmans
est traversée depuis plus d’un demi-siècle par deux principaux courants : les Bannaistes et les Qutbistes. Les
premiers, revendiquant l’héritage du sixième guide-suprême, Mãmûn
al-Hudaybi, prétendent être des «réformistes»,
des pigeons. Les seconds, des vautours, assument la ligne dure de l’idéologie
takfiriste et jihadiste de Sayed Qutb. Ces deux courants traversent aussi
l’UOIF mais dans l’unité. L’organisation «Musulmans
de France» a besoin des vautours d’ici ou d’ailleurs pour galvaniser la
base radicale. Elle a aussi besoin des pigeons pour amortir les chocs et faire
écran. En 2016, quand le lycée islamiste Averroès était en difficulté, Tareq Oubrou vola à son secours même si l’association Averroès
qui le gère est présidée par son rival Amar Lasfar.
Cela étant dit, il
n’est pas exclu que Tareq Oubrou
ait fait ce choix tactique par détachement prémédité, par distanciation
volontaire de la sulfureuse UOIF pour se rendre disponible à je ne sais quel
destin «religieux» national, en caressant à l’envi
l’espoir d’occuper le poste influent de «grand imam de France», sous
l’ère Macron, sans être gêné par une étiquette encombrante. Quoi qu’il en soit,
on peut bel et bien quitter une association frériste
sans rompre pour autant avec l’idéologie frérosalafiste
qui l’alimente. Cela se vérifie sans difficulté dans le cas précis de Tareq Oubrou :
Il est toujours «imam» à Bordeaux, salarié
d’une mosquée contrôlée par les Frères musulmans de l’association FMG (Fédération des
musulmans de Gironde). Il semble être toujours associé au CAPRI (Centre
d’Action et de Prévention contre la Radicalisation des Individus) créé par ses
Frères musulmans à Bordeaux avec le soutien d’Alain Juppé et de l’ex-ministre
socialiste de la ville, Patrick Kanner. Ce CAPRI est
subventionné par les deniers publics. Son président est le frère musulman
syrien Marwan al-Bakhour qui occupe le poste de délégué régional de «Musulmans de France» (ex-UOIF) en Aquitaine, Limousin et
Poitou Charentes. Ce CAPRI prétend lutter
contre la radicalisation islamiste et ce n’est pas une blague !
Preuve, s’il en faut
une, que cette espèce redoutable de l’homo islamicus gagne
en même temps sur les deux tableaux, en se positionnant en aval sur le business
de la «déradicalisation» après avoir été, des
années durant, en amont et à l’origine de la radicalisation islamiste. Une
commission d’enquête parlementaire et/ou sénatoriale serait le bienvenu pour
connaître les raisons de financement par les deniers publics de ce projet frériste. Cela permettra aussi de faire un REX objectif
de ce projet invraisemblable.
Pour l’anecdote, lors
de deux sessions de formation que j’ai encadrées en 2017, au sujet de l’islam
politique et de l’usage de la Taqiyya (dissimulation)
notamment en milieu carcéral, invité par la DISP (Direction interrégionale des
services pénitentiaires) de Bordeaux, et ensuite par le Centre pénitentiaire de
Mont-de-Marsan, je me suis rendu compte du poids incroyable que Tareq Oubrou a, dans la
nomination des aumôniers de prison, dans toute la région Nouvelle-Aquitaine.
J’ai appris que la plupart des aumôniers musulmans de prison de cette région
étaient issus, à quelques exceptions près, des rangs des Frères musulmans. Le
ministère de la Justice de l’époque ne semblait pas être embarrassé, outre
mesure, par cet état de fait.
Aussi, au nom de sa
non-rupture assumée avec sa famille frériste, Tareq Oubrou répond toujours aux
invitations des Frères musulmans pour animer des conférences. Qui peut croire,
un seul instant, que le fonctionnement sectaire de cette organisation islamiste
puisse tolérer que l’on quitte la mouvance et que l’on conserve ses fonctions
et surtout son salaire ? La ficelle est grosse. Quand on quitte les Frères
musulmans, vraiment, définitivement, ici ou ailleurs, on a intérêt à regarder
derrière soi en marchant dans la rue. Tareq Oubrou est toujours administrateur au sein du conseil
d’administration de l’organisation frériste Secours Islamique. Sa femme, la sœur
du Frère musulman Hassan Iquioussen, y occupe
toujours le poste de deuxième vice-président… Comment prétendre que Tareq Oubrou ait rompu avec les
Frères musulmans ?
Le 14 juin 2017,
moins d’un an avant son prétendu retrait de l’UOIF, il a créé avec le
frère musulman Fouad Alaoui, une association loi
1901 dénommée Forum de Paris de la pensée
critique (FPPC) qui ne fait apparaître dans sa
dénomination sociale aucune référence, aucune allusion à l’islam. L’annonce
officielle de cette création a été publiée le 24 juin 2017. Le bureau exécutif
est composé exclusivement de Frères musulmans de diverses nationalités :
française, égyptienne et algérienne. L’un d’entre eux qui s’appelle Hossam el-Ghonaïmi est même «apatride», dépourvu de toute nationalité
légale et vivant en Autriche, à en croire les documents constitutifs déposés à
la Préfecture. Tareq Oubrou
est toujours le vice-président de cette association frériste.
Force est de
constater qu’il n’a pas quitté cette jeune association frérosalafiste
quand il a «quitté» l’UOIF. Six mois après son
prétendu départ, le 8 décembre 2018, il est intervenu au FPPC en présence de
plusieurs membres de l’internationale frériste venant
de l’Allemagne, du Qatar et du Maroc à l’image de l’islamiste Naïma Ben Yaïch, la sœur de
djihadistes internationalement connus.
Le 16 et 17 mars
2019, il a donné une conférence au sein de ce forum frériste. Il
devait y intervenir une nouvelle fois le 10 novembre 2019, autour du thème «La révélation comme paradigme». Ce
rendez-vous a été reporté à une date ultérieure. L’aurait-il été pour permettre
aux convives de se joindre à la marche de la honte à Paris, contre ladite «islamophobie» ? Une chose est certaine, le
président du FPPC, Fouad Alaoui, a clairement soutenu cette manifestation dans
la droite ligne de sa position de 2010, lorsqu’il a considéré le port de la
burqa comme «liberté personnelle». Déjà à cette
époque, le même disait que la France connait un «climat islamophobe galopant». Le 11 novembre
2019, son vice-président, Tareq Oubrou,
a tenté de prendre ses distances avec les organisateurs de la marche de la
honte. En même temps, il a recommandé «d’autres
moyens d’action pour lutter contre la haine des musulmans.»
En somme, Tareq Oubrou est toujours très
actif dans plusieurs structures fréristes : FMG,
FPPC, Secours Islamique, CAPRI, en plus de l’AMIF (Association musulmane pour
l’islam de France) qu’il copréside avec le banquier Hakim el-Karoui et qui, dès sa création, a réservé une place de
choix à de nombreux Frères musulmans notoires (cf. mon décryptage : « Hakim
el-Karoui et les Frères musulmans : ICI et
maintenant ? »). En outre, la tribune rouspéteuse
qu’il a signée, publiée sur le site Le Monde, ce 1er décembre 2020,
intitulée «Aux laïcs la gestion administrative de l’islam de France,
aux religieux la question religieuse», est cosignée et soutenue par
plusieurs fréristes affiliés à des structures
islamistes en France ou à l’étranger : Tahar Mahdi, Omar Dourmane, Azzedine Gaci, Hassan Izzaoui, Mahmoud Doua, etc. Tous sont des
disciples du sulfureux Youssef al-Qaradawi.
Au-delà de ces
indices factuels concordants, ceux qui encensent Tareq
Oubrou et en font un «imam
républicain» voire un «grand imam de France», feraient mieux de lire
ce qu’il a écrit en 2019. J’ai lu, analysé et décrypté ici les 360 pages
de son «Appel à la réconciliation»
(Plan-2019). J’invite à sa lecture en commençant par la page 189 correspondant
au chapitre 7, qui devrait plutôt faire office d’introduction, ou
d’avertissement préliminaire. Cet essai est la synthèse en français de
l’héritage salafiste des hadiths d’al-Bukhâri, des
avis juridiques moyenâgeux d’al-Shafi’î, des fatwas
takfiristes d’Ibn Taymiyya et des extravagances d’al-Ghazâlî, actualisés, reformulés et augmentés des
projections politiques califalistes d’Hassan al-Banna
et de ses successeurs Youssef al-Qaradawi et le
Libanais Fayçal Mawlawi, co-fondateur de l’UOIF en
1983.
Tareq Oubrou y explique que le mensonge peut
devenir «moral» voire «obligatoire» s’il
«permet la réconciliation». Il y prêche le recours à la ruse et prend
l’exemple de Mahomet à ce sujet. «La ruse
dont [le Prophète] parlait n’est donc ni fausseté ni trahison, mais simple
économie morale pour résoudre un conflit. Un moyen d’obtenir une victoire par
la diplomatie et à moindre coût humain et matériel.» Il rajoute cette phrase qui doit
mettre la puce à l’oreille de ceux qui sans le lire le promeuvent sans
vergogne : «Une ruse qui permet
d’éviter l’effusion de sang ou de fléchir l’ennemi sans combat.» A la
différence de Daesh et d’Al-Qaïda qui cherchent à fléchir la France et
l’Occident par les attentats, les armes et l’effusion de sang, Tareq Oubrou, lui, prône auprès
de ses disciples, dans son essai paru en 2019, de ruser prudemment et d’user du
mensonge et de la Taqiyya. Il donne le conseil de se
comporter tel «l’animal [qui] quand il
pénètre un milieu qu’il ne connait pas très bien encore, minimise ses
mouvements et réduit prudemment sa visibilité afin de ne pas perturber
l’équilibre écologique de son nouvel environnement, perturbation dont il
serait le premier à subir les conséquences.» Les proies seront ainsi
tranquillisées, hypnotisées.
Preuve s’il en faut
une que l’on peut être menacé par une organisation islamiste terroriste et, en
même temps, user de ses références théologiques et s’appuyer sur ses fatwas
canoniques. C’est exactement le cas de Tareq Oubrou. Sur les plateaux de télévision et sur les ondes
radiophoniques, il utilise des expressions sous un habillage moderne, pour se
donner l’image d’un imam de son temps, d’un «grand
imam» dit-on, progressiste et libéral. A ce titre, il dit prêcher une «visibilité proximale» au nom de son «paradigme
d’acculturation » qui plaide pour la «contraction de la sharia»,
pour la «sharia des minorités» et pour «des pratiques [religieuses]
réduites» et minimalistes.
A entendre ces mots
sortir de sa bouche avec assurance, le sourire aux coins des lèvres, les
journalistes qui l’invitent mais sans le lire, sont ravis et restent baba.
Toutefois, dans son essai il dévoile la source théologique de ce paradigme, de
cet ancien-nouveau concept. Sa source est Ibn Taymiyya :
la référence médiévale mondiale numéro un du jihad global et, en
particulier, de l’Etat Islamique. En effet, Tareq Oubrou enjoint aux Français musulmans de
«s’adapter aux non-musulmans majoritaires, comme le défend, dit-il, Ibn
Taymiyya» avant de rajouter que ce dernier «considère
que, dans certaines conditions les musulmans doivent avoir la même
visibilité que le reste de la nation non-musulmane. Il parle même d’une
obligation de ressemblance avec les non-musulmans au niveau des signes extérieurs,
et ce, pour l’intérêt même des musulmans.»
Pour démontrer à ses
ouailles l’enracinement salafiste historique et conceptuel de ce paradigme et
les rassurer quant à sa validité religieuse, il fait référence à un livre d’Ibn
Taymiyya mais sans traduire le titre de
l’arabe. En note de bas de page, à la page 306 plus exactement, il ne cite que
la moitié du titre en arabe : Taqiyya oblige. Le
titre complet est «Iqtid’â
as-sirât al-mustaqîm
fi moukhalafat as’hâb
al-jahîm» que l’on pourrait traduire
par «Emprunter le droit chemin pour se distinguer des gens de l’Enfer». Un
livre assurément takfiriste, obscurantiste, antisémite, antichrétiens, misogyne
et jihadiste qu’aucun journaliste français n’a lu.
C’est un livre qui,
sans détour, prône la rupture entre musulmans et non-musulmans. En langage
politique actuel, il prône le séparatisme islamiste sur bases théologiques et
doctrinaires. Ibn Taymiyya y explique que l’attitude
de «se distinguer et se différencier des mécréants» était devenu «obligatoire
après que l’islam eut triomphé et que ses préceptes furent
prédominants comme pour le jihad armé, pour la capitation [al-Djizia] que [les mécréants dominés] furent
obligés de verser [aux musulmans] en étant humiliés. Au
début [à la Mecque], dit-il, lorsque les musulmans étaient
fragiles et en état d’infériorité, cette obligation ne leur fut
pas imposée. Mais quand la religion fut parachevée et a triomphé [à Médine], cette
différenciation est devenue obligatoire.»
Ensuite, Ibn Taymiyya a ramené ce concept à son époque révolue, pour
ouvrir la voie à une exception à cette règle générale. «De
notre temps – dit-il –, il en est de même si un musulman
réside au sein d’une demeure de guerre (Dâr
al-Harb) ou au sein d’un territoire de mécréance, autre que Dâr
al-Harb. Celui-ci n’est pas concerné par l’obligation de se différencier des
non-musulmans dans les apparences et les attitudes visibles. Le faire, pourrait
lui causer bien des contraintes et des dommages. Au contraire, il lui est
recommandé de ressembler [aux non-musulmans] dans ces attitudes visibles à
condition, toutefois, que cela puisse servir un intérêt religieux permettant de
les amener à se convertir à l’islam. Cela pourrait l’aider
à s’infiltrer pour connaître leurs secrets et les dévoiler ensuite aux
musulmans.»
Fin de citation.
Tareq Oubrou se sert de cette exception à la règle
générale chez Ibn Taymiyya pour vendre, sous un
nouvel accoutrement occidental, ce vieux concept islamiste séparatiste et
guerrier. Son paradigme est une pure ruse langagière, une stratégie de
conquête. Il le vend aux médias, aux visiteurs du soir de l’Elysée sans oublier
de rassurer, en même temps, la frange la plus radicale des islamistes en
France. «Certains musulmans –
dit-il – m’accuseront sans doute de théoriser en vue d’une assimilation
des musulmans. Je leur dis simplement que là où ils voient un risque
de disparition par assimilation réside leur salut spirituel et matériel. Et je
suis convaincu, du moins je l’espère, que le temps me donnera raison.»
J’ai la faiblesse de
lire l’islam politique pour mieux comprendre et cerner ses desseins. Je ne suis
ni un fou ni un adepte des théories du complot qui voit les Frères musulmans
partout. J’observe la soudaine mue de leurs activistes quand elle s’opère et
cherche à savoir si elle est principielle, dictée par une rupture idéologique
assumée et consommée, ou si elle est artificielle et conjoncturelle, pour «négocier [un] virage en tête d’épingle»,
comme l’explique Tariq Oubrou dans son essai. En
résumé, si Tareq Oubrou a
quitté une association des Frères musulmans en France, il n’en a pas quitté
d’autres. L’idéologie frérosalafiste qu’il anime
depuis 37 ans reste intacte mais s’adapte pour protéger sa famille et duper.
Elle n’est pas colombe celle qui couve des vautours.