«Macron ne maîtrise pas le sujet», selon Céline
Pina
© AFP 2020 SEBASTIEN BOZON
15:09
20.02.2020(mis à jour 15:15 20.02.2020)
Par Edouard Chanot
Le
plan d’Emmanuel Macron contre le «séparatisme dans la République» était
attendu. Le Président prend-il le chemin de la fermeté ou du laxisme face à
l’islam politique? Céline Pina, militante «laïque et républicaine», a porté à
notre micro un jugement sans concession sur la performance présidentielle.
Contrecarrer
le «séparatisme islamiste», mais éviter toute stigmatisation de l’islam.
L’équation était périlleuse pour Emmanuel Macron. S’en est-il sorti? Nous avons
posé la question à Céline Pina. Ancienne élue locale et conseillère
régionale (PS), elle a fondé le mouvement Viv(r)e la
République et publié l’essai Silence coupable (Éd. Kero, 2016).
Sputnik France: Si vous deviez noter le
discours et le plan du Président de 1 à 10, quelle serait votre note?
Céline
Pina: «Sur les espoirs de réalisation, 2. Sur la qualité du discours, 4. Comme
vous le constatez, je suis très sévère, pour deux raisons: d’abord, quand vous
êtes convaincu par vos décisions, que vous avez une connaissance et des pensées
personnelles approfondies, vous avez des réflexes, vous comprenez très vite les
enjeux. La photo dramatique qui le montre à côté d’une femme intégralement voilée,
alors que la séquence est censée illustrer sa prise de conscience du danger du
séparatisme islamiste, est surréaliste. Il finit par faire un selfie avec
elle. Être voilée des pieds à la tête, c’est un signe de séparatisme et il ne
paraît pas s’en rendre compte. Il banalise le message que la tenue de cette
femme envoie. Macron envoie des signaux extrêmement contradictoires!
«La
photo dramatique à côté d’une femme intégralement voilée... est surréaliste
Deuxièmement,
le discours n’a pas de colonne vertébrale. Il mélange des éléments très précis
et des grandes lignes plutôt clichées. Or, soit Gérard Collomb avait raison et
nous sommes en train de passer de communautés côte à côte à des communautés
face à face, et le moment est solennel tant notre avenir collectif se joue,
soit ce n’est pas le cas et alors cette mise en scène sur le séparatisme était
inutile et anxiogène. Bien sûr, je pense que la première hypothèse est la
bonne, mais lui semble pencher pour la seconde.
Troisièmement,
ses exemples d’action sont souvent ambigus. Je pense à ce qu’il a dit quand il
parle de se débarrasser de l’islam consulaire pour assurer en France la
formation des imams. Quand on observe qui tient les structures de formation
aujourd’hui, on voit bien que le Président n’a pas réfléchi. Ce sont les Frères
musulmans qui tiennent ces formations pour la plupart, et ce sont de purs islamistes.
Ils ont déjà noyauté en partie l’Association Musulmane pour l’Islam de France
(AMIF), créée sous son regard bienveillant.
On
voit bien en écoutant son discours que son diagnostic est flou, qu’il est dans
le “mais en même temps” qui détruit la crédibilité de sa parole, qu’il ne
maîtrise pas le sujet. Une fois encore, le Président pense que des mots peuvent
remplacer des actes, ce qui montre les limites de cet exercice, c’est que
maintenant, même les mots ne sont pas bien choisis.»
© SPUTNIK . EDOUARD CHANOT
Les
axes de lutte contre le séparatisme islamiste prévus par Emmanuel Macron
Sputnik France: Emmanuel Macron a avancé
quatre axes et n’en a détaillé que le premier pour l’instant. Mais la stratégie
vous semble-t-elle cohérente?
Céline
Pina: «Un semblant de cohérence, oui, mais tout est dans le semblant. C’est au pied
du mur que l’on voit le maçon, or Emmanuel Macron a eu il y a peu l’occasion de
lutter en actes contre le séparatisme. L’exemple du séparatisme ultra-violent,
c’était l’affaire de Mila, menacée de mort pour avoir usé de sa liberté
d’expression. Il était très simple de prendre cette affaire emblématique, qui
concerne une enfant du peuple, et de poursuivre très sévèrement les personnes
qui l’ont menacée de mort. Il eut fallu aller dans le lycée et dire très
clairement: “vous n’êtes pas du côté du respect et de la morale, vous êtes dans
le camp des salauds, vous êtes en rupture avec la République.”
«Quand le réel arrive, il n’y a plus
personne.»
De
fait, une forme de délit de blasphème est revenue en France. Et comment nous
a-t-elle été imposée? par la force, la menace de mort, en niant nos lois et nos
mœurs. Quand le réel arrive, il n’y a plus personne. Et ensuite, on va faire
des déclarations à Mulhouse? Je trouve ça aberrant. Ensuite, je trouve ça
amusant, cet homme qui fustige les attentes des Français en attente d’un
discours sur la laïcité, qui l’évoque d’ailleurs, mais le fait en Alsace, là où
règne le concordat! Ces éléments contradictoires montrent à quel point nous
sommes dans une séquence de communication et non dans quelque chose
d’approfondi.»
Sputnik France: «Notre ennemi est à ce
titre le séparatisme, phénomène que nous observons depuis des décennies.»
Un «séparatisme islamiste, idéologie politique qui hystérise la société,»
a déclaré le Président. Cette fermeté ne vous satisfait-elle pas?
Céline
Pina: «Évoquer le séparatisme, c’est déjà un progrès. Mais force est de
constater que lorsqu’il s’agit de parler, il n’y a aucun problème. Il y a déjà
eu trois plans: deux contre la radicalisation, maintenant nous avons le
séparatisme. Ce n’est jamais suivi d’action (je ne parle pas du travail
effectué par la police pour empêcher les attentats).
«Il
y a des marqueurs extrêmement forts du séparatisme, physiques et mentaux. Sur
ces marqueurs-là, la lutte n’est pas menée.»
Depuis
2015, il y a eu 260 morts sur notre territoire. Avez-vous vraiment
l’impression qu’être islamiste est pour autant devenu coûteux? Or, ce sont eux
qui sèment l’idéologie qui génère le séparatisme et le passage à l’acte
violent. Il s’avère difficile de licencier un homme pour avoir refusé de serrer
la main d’une femme, pour le port d’une barbe salafiste ou des prières au
travail. Et si on faisait évoluer la loi pour gérer ce type de cas? Voile
intégral, barbe, nourriture halal, vêtement halal, loisirs halal, refus de la
proximité des mécréants, remise en cause des enseignements, procès permanent en
racisme fait à la France… Il y a des marqueurs extrêmement forts du
séparatisme, physiques et mentaux. Sur ces marqueurs-là, la lutte n’est pas
menée. Alors, excusez-moi si je ne crois pas vraiment à ses grandes
déclarations lyriques!»
Sputik France: Emmanuel Macron, dit-on,
veut éviter l’écueil de la stigmatisation: «la République n’a pas toujours
donné des preuves d’amour», a-t-il concédé. Le Président n’a pas encore
détaillé les mesures, mais acceptez-vous ce constat sur la discrimination
des Français de confession musulmane?
Céline
Pina: «Les discriminations existent, on ne va pas les nier. Pour autant, il
faut sortir du discours de victimisation. Il est souvent faux, mais surtout il
enferme dans l’échec. S’il y a des gens qui pourraient se plaindre de l’abandon
de la République, ils ne sont pas dans les quartiers, ils ne sont pas forcément
musulmans. Ce sont tous les gens qui vivent dans la France périphérique qui,
eux, sont vraiment abandonnés. Les quartiers n’ont jamais été vraiment
abandonnés. On a dépensé des milliards dans la politique de la Ville. On peut
s’interroger sur les résultats, mais on ne peut pas parler d’abandon!
«Ce
sont tous les gens qui vivent dans la France périphérique qui, eux, sont
vraiment abandonnés.»
Les
espaces où l’islamisation se développe le plus sont certes des espaces où les
gens sont pauvres, mais aussi où la solidarité nationale est extrêmement
active. Les trois quarts des gens dans les quartiers où Emmanuel Macron s’est
déplacé vivent dans des logements sociaux et bénéficient de nombreuses aides.
Et c’est très bien que le patrimoine public aide les gens qui n’ont pas de
patrimoine privé. C’est même l’honneur de la République. Mais il faut arrêter
de jouer les victimes: la République a investi ces espaces.
Mais
ce qu’elle n’a peut-être pas fait, c’est qu’elle n’a pas été autoritaire,
exigeante. Un parent qui aime vraiment son enfant ne cède pas à tous ses
caprices. C’est à ce niveau-là que la République a été défaillante. Trop d’élus
ont dit aux jeunes et moins jeunes: “vous êtes discriminés, vous n’y arriverez
pas, quelques efforts que vous fassiez, parce que la France est raciste”. Ils
ont récupéré des voix en les enfermant dans un statut de victime, ils ont
construit leur carrière en envoyant ces personnes dans le mur.
Le
vrai discours aurait dû être de dire: “vous avez plus de difficultés que les
autres, c’est pour ça que nous investissons dans votre quartier et sur vous.
Peut-être qu’il vous faudra vous battre plus que les autres, mais battez-vous.
Nous construisons des écoles, des bibliothèques, il existe des bourses, des
aides, des prises en charge périscolaires, des maisons de quartier… Vous avez
des outils à disposition, emparez-vous d’eux. Faites votre part et nous serons
là pour faire la nôtre.” Nous sommes l’un des pays qui a investi le plus sur
ses citoyens, leur intelligence, leur santé. Certes, ce service public
aujourd’hui va mal, mais il va mal pour tout le monde.»
Sputnik France: En finir avec les «imams
détachés», provenant par exemple de Turquie ou d’Algérie, à
l’horizon 2024, est-ce selon vous une mesure satisfaisante?
Céline
Pina: «On est une République souveraine, qu’un gouvernement étranger ne nous
envoie pas des personnes qui prêchent sur notre territoire sans que l’on sache
qui ils sont me semble être la moindre des choses. La vérité, c’est surtout que
l’État français n’est pas là pour administrer quelque religion que ce soit.
Empêcher la religion de créer une contre-société est essentiel, mais ce n’est
pas le rôle de l’État de s’investir pour créer un islam de France. Son rôle,
c’est de transmettre ce que nous sommes en tant que culture et en tant que
peuple. Je trouve qu’il est aberrant d’expliquer qu’on va contrer l’exaltation
politico-religieuse avec la religion. Non, c’est en faisant vivre le projet
républicain.»
Sputnik France: Supprimer des Enseignements
en langue et culture étrangère, pour ouvrir des postes d’enseignants en langue
étrangère, avec des enseignants qui maîtriseront le français, et contrôlés par
l’éducation nationale, une bonne mesure?
Céline
Pina: «La suppression est indispensable, c’est très clairement une manière pour
les pays étrangers de garder la main sur ceux qu’ils estiment être leurs
ressortissants. Or, les gens qui arrivent pour s’installer définitivement
doivent devenir pleinement français. L’une des choses les plus importantes pour
y parvenir, c’est la maîtrise de la langue. Celle-ci n’est pas qu’un outil de
communication, c’est un imaginaire et une façon de voir le monde et de se
projeter dedans.
«On est en train de briser des
gens, parce qu’ils n’ont leur place nulle part, ni ici ni au bled...»
Il
faut qu’au début de l’existence, on investisse dans cette maîtrise de la langue
pour les enfants, pour qu’ils trouvent leur place. Ensuite, qu’au cours de leur
enseignement, on leur propose des cours d’arabe, de turc, de russe, cela
suffit. Ils feront leur choix. Mais qu’on arrête de maintenir les personnes le
cul entre deux chaises. Il faut savoir à quelle sphère on appartient. On est en
train de briser des gens, parce qu’ils n’ont leur place nulle part, ni ici ni
au bled, parce que personne n’est clair sur la manière de trouver sa place dans
un pays.»
Sputnik France: Emmanuel Macron a vanté le
bilan mené depuis deux ans et demi dans 15 régions tests. Il a avancé des
chiffres: en deux ans, 152 débits de boisson, 15 lieux de culte,
12 établissements culturels et de sport, 4 écoles fermées,
652 contrôles anti-fraude, 32 mesures de surveillance prises, via le
Dispositif de cellules contre l’islamisme et le repli communautaire (CLIR).
Est-ce encourageant?
Céline
Pina: «Je vais croire ce bilan, mais je trouve qu’il est intrigant. Quand vous
voyez le nombre de mosquées qui posent problème, en fermer
seulement quinze peut surprendre. La mosquée de la cité de la Fauconnière à
Gonesse, où a été radicalisée le tueur de la préfecture Mickaël Harpon, aurait
semblé à mettre particulièrement sous surveillance. Aux dernières nouvelles,
les imams de ce lieu de culte suspect n’ont pas été expulsés. Dans cette
histoire, on est sur du réel.
«Si
les sécessionnistes perdaient nombre d’aides ou n’avaient plus droit au
logement social, je crois que nous découragerions beaucoup de vocations
d’islamistes»
Quand vous revenez
sur des affaires qui ont défrayé la chronique, comme ces écoles hors contrat
qui voilaient intégralement des fillettes et dont les parents étaient dans une
démarche séparatiste, il arrive souvent que l’on fasse le constat de la
réouverture de ces lieux, à Toulouse par exemple. On est en train de faire le
constat que les enseignements à la maison et hors contrat explosent. Je ne
comprends pas que l’on n’interdise pas les dérogations et l’école à la maison,
sauf cas particulier.
Enfin,
si les sécessionnistes perdaient nombre d’aides ou n’avaient plus droit au
logement social, je crois que nous découragerions beaucoup de vocations
d’islamistes. Bref, le moins que l’on puisse dire, c’est que ce n’est pas avec
ce discours que le Président semble en avoir pris la mesure de cette
contre-société séparatiste, et qu’il s’est donné les moyens de protéger son
pays. Et dans les domaines régaliens, c’est le pire commentaire que l’on peut
faire sur l’action d’un Président.»