Des effets de la contrition
sur la lutte contre le racisme
MIS EN LIGNE LE 8 JUILLET 2020 · PARU DANS L'ÉDITION
1459 DU 8 JUILLET
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Vous êtes blancs ? Vous êtes racistes. Et si vous prétendez le
contraire, c'est bien la preuve que vous l'êtes. Cette théorie, qui ferme
imparablement tout débat, a été forgée par une sociologue américaine, Robin DiAngelo, et est développée dans un livre Fragilité
blanche, paru le 1er juillet en France. Sans surprise, il émoustille une partie
de la gauche intellectuelle incapable de retenir sa libido devant une aussi
belle démonstration identitaire. Tania de Montaigne nous dit ce qu'elle en
pense.
Depuis quelques années, à intervalles réguliers, je croise des personnes
blanches très sympas qui tiennent à s’excuser de l’être, blanches, pas sympas.
À chaque fois, le même rituel se répète, elles s’avancent vers moi, la tête
légèrement penchée, les mains ouvertes, l’œil humide, et m’expliquent, la mort
dans l’âme, qu’elles s’en veulent et qu’elles nous aiment, nous les noirs. À
charge pour moi de transmettre ce message d’amour aux autres noirs que, bien
évidemment, je connais tous par leur prénom. J’ai l’impression que ce phénomène
s’est amplifié depuis l’apparition d’une littérature d’un nouveau genre, les
livres de développement contritionnel. Genre
littéraire basé sur l’idée d’associer développement personnel et contrition. La
particularité de ces ouvrages, c’est qu’ils sont écrits par des intellectuels
blancs qui envisagent le racisme comme s’il était le péché originel et
l’antiracisme comme un acte de pénitence. Principe dont la conséquence directe
est de faire de toute personne non blanche un prêtre en puissance.
« Pardonnez-moi, ma sœur, car j’ai péché ! » D’ailleurs, mon emploi
du temps commence à devenir un peu chargé puisque, en plus de mes activités
quotidiennes, je dois aussi donner l’absolution.
Bien qu’universitaires, tous les concepts développés dans cette
littérature sont empruntés au lexique religieux. On y parle de faute et de
honte, rarement de commerce triangulaire, de capitalisme ou de marchandisation.
Tout y est vu sous le prisme de ce qui est bien, de ce qui n’est pas bien, de
ce qui est gentil et de ce qui ne l’est pas. Partant du principe que réduire
quelqu’un en esclavage, ça n’est pas gentil. Le monde y est séparé de façon
étanche entre bourreaux et victimes, entre les gens qui souffrent, les
non-blancs, et ceux qui font souffrir, les blancs. Ce qui conduit tous ces
auteurs à considérer que toute personne non blanche a forcément raison et que
toute personne blanche a naturellement tort.
À LIRE AUSSI : Tania
de Montaigne : «le mot « racisé » accrédite l’idée selon laquelle la
race existe»
L’une des représentantes emblématiques de ce courant, Robin DiAngelo, autrice de Fragilité blanche,
explique que les blancs doivent se rééduquer. Rappelant les grandes heures du
maoïsme. Son ouvrage est donc une sorte de « petit livre rouge » qui
permettrait une reprise en main stricte, bien que vaine puisque, de toute
façon, selon elle, le problème des blancs est dans leur nature même. Ils sont
blancs, donc racistes par essence. En préambule des conférences qu’elle anime,
elle explique : « Si vous êtes blancs et que vous n’avez pas passé
des années à étudier cette question du racisme, vos opinions sont forcément
inappropriées. » Ce qui, entre parenthèses, signifie qu’elle est la
seule dans la salle à avoir une compétence sur le sujet. Pour appuyer son
propos, elle évoque des réflexions ou des confidences que lui ont faites des,
je cite, « personnes de couleur ». Ce qui, entre parenthèses,
signifie qu’elle est la seule dans la salle à savoir comment parler à des, je
cite, « personnes de couleur ». Façon de se mettre au-dessus
du lot de tous ces blancs complètement nuls qui n’ont rien compris. Et pour que
les choses soient plus claires, Robin DiAngelo
déroule tout au long de sa conférence de très jolis PowerPoint, chargés
d’illustrer les étapes du travail immense qui attend chaque blanc. Première
étape : l’humilité. « Nous sommes les moins qualifiés pour comprendre
le racisme », dit-elle. Cette première étape est illustrée par la
photo d’un cheval qui porte des œillères. Manière subtile d’incarner
l’aveuglement des blancs. Bien sûr, n’imaginez pas qu’il s’agisse d’un cheval
majestueux qui galoperait fièrement face à l’adversité. Que nenni, le cheval en
question a la tête penchée et les paupières lasses, il semble s’en vouloir
terriblement. Ça n’est pas du tout un cheval qui la ramène, on sent que
celui-là a commencé à mesurer l’ampleur de sa faute.
Sont ensuite énumérées des étapes assez comparables à celles des
Alcooliques anonymes. Avec, en sous-texte, l’idée que tout blanc doit apprendre
à se sevrer de son propre racisme. Ainsi, il conviendra toujours de préciser
qu’on est blanc. Tout comme les AA recommandent aux usagers de se définir
auprès des autres comme alcooliques, preuve qu’on a conscience du problème.
Dans le même ordre d’idées, on devra s’excuser auprès de ceux à qui on a fait
du mal par Histoire interposée. C’est là que je réenfile ma soutane.
J’imagine que quand les auteurs de ces livres seront arrivés au bout de
toutes les étapes de leur rééducation, ils se rendront compte que la seule
issue possible est qu’ils reversent à toutes les personnes non blanches la
totalité des droits générés par leurs œuvres, puisque après tout ce sujet est
le nôtre. En attendant mon chèque (j’accepte aussi les virements), ce que je
constate, c’est que ces ouvrages n’ont absolument pas pour but de faire en
sorte que les choses changent. Bien au contraire. Tout y est organisé pour que
le racisme continue à être perçu comme un problème de noirs, de jaunes, de
rouges… mais certainement pas comme le problème de tous. Les non-blancs y sont
présentés comme des êtres à part, spéciaux, incompréhensibles pour qui n’est
pas comme eux, définis uniquement au regard de ce qu’ils subissent. Il faut
beaucoup étudier pour pouvoir les comprendre. Ils sont une tribu lointaine, une
inquiétante étrangeté qu’il faut apprivoiser en donnant des gages de bonne
volonté. Ces livres reprennent donc à l’identique le système établi par les
théories esclavagistes, faisant du blanc l’alpha et l’oméga. Le blanc est pensé
comme étant au centre de tout. La seule différence, c’est qu’aux siècles
précédents, il était présenté comme celui qui savait tout. À présent, il est
celui qui ne sait rien. La preuve de son implication dans la lutte contre le
racisme tient donc dans sa capacité à dire qu’il est incompétent. Il est sommé
de tout avouer et de ne rien faire. Car faire, ce serait prendre la place des experts
en racisme, les non-blancs. Erreur fatale. Sous couvert de disruption et de
prise de conscience radicale, ces livres proposent, en fait, une philosophie de
l’immobilité. En résumé : agir, c’est ne rien faire. Le travail du blanc,
c’est la culpabilité et le retrait. Un rêve de moine. Totalement basés sur
l’individualisme, ces ouvrages n’offrent aucun outil pratique de lutte
collective mais permettent simplement à ceux qui les lisent de se sentir mal,
donc bien. Un rêve SM. Le stéréotype de la nounou noire maternante et
réconfortante est remplacé par celui du noir fouettard. Chacun est à nouveau
essentialisé et réduit à une nature indépassable. Tout cela permettant
d’oublier complètement le sujet de départ, à savoir lutter pour que chacun
accède à l’égalité et au plein exercice de sa liberté. Le racisme peut donc
tranquillement continuer sa route, comme si de rien n’était.
À LIRE AUSSI : Fragilité
blanche : itinéraire d’un best-seller racialiste
Alors j’aimerais ajouter une petite postface à tous ces livres,
j’imagine sans peine que leurs auteurs n’y verront aucun inconvénient. Voici le
message : votre contrition est votre problème, pas le mien. Je ne suis pas
là pour vous dire qui vous êtes, il faut accepter de le savoir par vous-même.
La lutte contre le racisme commence là, dans notre capacité à sortir de ce
collage persistant qui voudrait que le noir dise qui est le blanc et que le
blanc dise qui est le noir. Dans cette structuration binaire des relations qui
veut que l’un soit en haut si l’autre est en bas. M’ériger des trônes, m’offrir
des fleurs, me dire que je suis géniale, vous fouetter avec une ceinture à
clous, marcher sur des braises ardentes, vous arracher les dents sans
anesthésie, rien de tout cela ne permettra à des gens lésés dans l’exercice de
leurs droits fondamentaux de pouvoir obtenir justice. Personne n’a besoin d’un
master en antiracisme pour mettre son expertise ou sa bonne volonté au service
de l’égalité. Alors, blancs, noirs, beiges, jaunes, rouges… au boulot !