« Il faut abolir le code de la famille »
Fadela Boumendjel Chitour, professeur
de médecine, présidente du réseau
Wassila
https://www.liberte-algerie.com/actualite/il-faut-abolir-le-code-de-la-famille-349574
La présidente du Réseau
Wassila détaille les mécanismes qui doivent accompagner la
sécurité juridique des femmes victimes de violences.
Liberté : Les violences faites aux
femmes se sont multipliées dangereusement ces dernières années,
avec, notamment, une augmentation des cas de féminicide. Comment expliquez-vous
cela ?
Fadela Boumendjel Chitour : Ce drame de notre
société restait encore, il y a elques années, un
sujet tabou. On a l’impression qu’il y a une augmentation des violences faites
aux femmes parce que nous en parlons plus aujourd’hui. Il est très difficile de
parler véritablement d’augmentation des violences faites aux femmes, en
l’occurrence les féminicides, en raison de l’absence d’organismes et de
structures qui recensent et répertorient systématiquement les femmes
violentées.
Toutes les données chiffrées que nous avons sont malheureusement
fragmentaires. Il existe évidemment les données de la police ou de la
gendarmerie, des instances judiciaires, quand il y a dépôt de plainte, ou
encore les données des associations de défense des droits des femmes, mais qui
restent, comme je l’ai dit, loin de refléter la réalité des violences
multiformes que subissent les femmes.
Il faudrait un enregistrement systématique de toutes les violences et
ensuite une coordination d’un organisme chargé de donner des chiffres plus ou
moins proches de la réalité. Car, faut-il le rappeler ici, nous n’aurons jamais
les données réelles pour la simple raison qu’il y a un nombre très important de
femmes violentées qui n’avouent pas leur supplice. Tout ce qu’on pourra donner
comme chiffre restera, par conséquent, illusoire.
Énormément de cas de violences faites aux femmes ne sont pas déclarés.
Pour vous donner un exemple, il y a beaucoup de féminicides et d’assassinats
qui sont camouflés et travestis en mort naturelle, suicide ou encore en
accidents domestiques. C’est vous dire toute la difficulté de faire une
collecte globale des chiffres plus ou moins réels en rapport avec ce drame
social.
Quelles sont les causes de cette violence ?
Je pense que c’est directement lié au statut de la femme et sa condition
politico-juridique et sociale. Tant que le code de la famille continuera de
régir le fonctionnement de la famille en consacrant la discrimination,
l’inégalité entre l’homme et la femme, la suprématie et la domination masculine
— en totale contradiction avec les textes de la Constitution —, les femmes
continueront de subir la violence sous toutes ses formes.
Le meurtre de la jeune Chaïma a suscité une grande
indignation. Des appels ont été lancés pour l’application de la peine capitale.
Votre avis ?
Le meurtre horrible de la jeune Chaïma a suscité de l’indignation. Mais
beaucoup de réactions, souvenez-vous, ont été également indignes et déplorables
envers cette victime en particulier. De nombreux “citoyens”, sur les réseaux
sociaux ou même à travers les médias, se sont permis des jugements sur la
victime elle-même en l’accusant de légèreté ou d’inconscience.
On a cherché presque une
justification à ce meurtre. C’est d’abord inadmissible,
et ensuite, cela fait un tort terrible à la cause des droits de la femme. Pour
les appels au rétablissement et à l’application de la peine capitale, ce ne
sera jamais la solution.
Même dans les années les plus sombres de l’Algérie indépendante, la
période terroriste, la peine capitale n’était pas applicable. Il existe dans le
code pénal assez de mécanismes de répression et
de condamnation. Je pense que la perpétuité est déjà exemplaire en la matière. La peine de mort n’a jamais
eu un effet dissuasif sur les criminels ou les potentiels criminels.
Son rétablissement ne fera en
aucun cas avancer la cause humaine de manière générale. Bien au
contraire, c’est aller à l’opposé de la civilisation. Encore que, dans notre
pays, nous avons été terriblement marqués par les horribles exécutions
capitales pendant la Guerre de l’indépendance. Nous ne gagnerons pas en dignité
en appelant au rétablissement de la peine de mort. Un état de droit qui
se respecte s’honore à abolir la peine capitale.
Quels sont, selon vous, les mécanismes à mettre en
place, afin de limiter les violences faites aux femmes ?
Un long travail en profondeur s’impose sur ce plan. À commencer par la
mise en œuvre des mécanismes législatifs de façon à avoir une cohérence dans
les textes de loi, afin de rétablir l’égalité entre la femme et l’homme, sans
aucune discrimination. Cela passe
nécessairement par l’abolition du Code
de la famille.
Deuxièmement, améliorer les dispositions législatives des textes
existant déjà, en particulier la clause du pardon dans la loi qui criminalise
la violence faite aux femmes de 2015. Il y a aussi l’amélioration de la loi sur
le harcèlement sexuel qui doit prévoir la protection des témoins. Cela, sur le
volet législatif. Il faut, par ailleurs, penser, dès à présent, à créer et en
urgence, des centres d'appels téléphoniques accessibles gratuitement pour
appeler au secours. Il est également question de prévoir des protocoles
d'intervention rapide des services de sécurité sensibilisés et formés à cette
mission.
Par ailleurs, et pour protéger les femmes avant qu'elles ne meurent, les
agresseurs doivent être immédiatement interpelés et les victimes mises sous
protection avec ou sans certificat de médecine légale. Il s’agit également de
réquisitionner des hôtels pour abriter les femmes et leurs enfants en danger,
la construction de centres d'hébergement, partout dans le pays, avec un accès
aux femmes victimes de violences, quel que soit leur statut matrimonial, avec
ou sans enfants ; la création d’un budget alloué à l'aide aux victimes de
violences et à leurs enfants.
Un travail de formation des professionnels doit également être mené. Je
pense que les services de sécurité, la justice ou encore les services sociaux
doivent être plus que jamais formés, afin de mieux protéger les victimes,
éloigner l'agresseur, enregistrer la plainte ou encore orienter les victimes
vers des structures dédiées. À cela doit s’ajouter, et j’insiste, un travail de
sensibilisation qui doit être mené en profondeur avec, notamment, des campagnes
massives d'éducation à l'égalité, que ce soit dans les programmes et
établissements scolaires, dans les affichages de rue et dans les médias et les
télévisions, en particulier.
Propos recueillis par : KARIM BENAMAR