Faire face à une radicale hostilité
Se réarmer mentalement pour faire face au terrorisme islamique
Par
Philippe-Joseph Salazar - 30 octobre 2020
Emmanuel Macron devant la basilique Notre-Dame de Nice, le 29 octobre, après
l'attaque terroriste.
© Eric Gaillard/AP/SIPA Numéro de reportage : AP22507811_000054
Face au terrorisme islamiste, médias et politiques semblent refuser de décrire
l’ennemi dans ses ressorts profonds. L’analyse de Philippe-Joseph Salazar,
auteur de Paroles armées : Comprendre et combattre la propagande terroriste
Une hostilité nouvelle effraie, mais elle effraie d’abord le langage de notre
discours. Il faut en finir avec la rhétorique à sensation des médias et des
politiciens de profession, et nommer avec justesse le phénomène. Il y a peu du
califat de Daesh, désormais du mouvement de radicale hostilité envers notre
monde à nous, une guérilla qui s’étend du Tchad au Mozambique, de Nice à
Conflans-Ste-Honorine.
La classe politique et les relais médiatiques résistent devant l’appellation de
l’hostilité : même le mot de « haine », si vif à être infligé sur tout ce qui
déplaît au consensus européen, n’est pas appliqué à la guérilla islamique. Notre
discours hésite, vacille, s’intimide lui-même. La cause en est que la violence
est, dans nos sociétés, encadrée par la loi (à chaque violence correspond un
délit ou un crime) et réduite à des rhétoriques explicatives (sociologie,
psychologie, etc.), en vue de la cantonner dans l’idéologie dominante des
groupes humains comme objet de gestion (la prévention et la réinsertion) avec
pour arme dérisoire et futile : la dissolution des groupuscules. Comme on dit en
américain : technique policière du « wack a mole », « estourbir un mulot », qui
ressort plus loin. Les terriers s’étendent en réseaux. Et que fait l’État ? Des
discours. On discoure sur le mulot.
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veulent les terroristes ? Nous soumettre !
Les guerriers de l’Etat islamique sont devenus les partisans d’une guérilla
Car quand surgit la véritable violence, avec sa bande son et sa bande image, ses
sacrificateurs et ses victimes, ses appels et ses harangues, se crée un trouble
de langage : pouvoir et médias veulent nous priver de mots exacts pour dire ce
qui se passe, et nous voilà réduits à user d’un glossaire dévalué, face au défi
insupportable de cette nouvelle violence : « islamo-fascisme ». Seul un
ignorant peut dire ça. Le fascisme (ou le stalinisme) serait probablement le
seul rempart efficace, et violent, contre la guérilla religieuse islamique.
La propagande djihadiste, encore nourrie et inspirée de l’immense bibliothèque
virtuelle du califat de l’Etat islamique est claire : il faut tuer tout
représentant de l’État ou de la religion honnie où le djihadiste vit, en attente
de la reprise du territoire par la guerre, la démographie et la conversion. Pour
le califat la France est occupée par des ennemis – des mécréants et leurs alliés
et serviteurs, les « musulmans modérés ». La gendarmerie et la police, et
désormais l’armée déployée, sont des forces d’occupation. Du coup le djihadiste
doit résister à l’occupant en pratiquant la guérilla et devenir partisan. Les
actions de partisans n’ont pas cessé depuis cinq ans. Chez nos voisins, Londres
a même été surnommée « la capitale des attaques au couteau ».
Comme l’y incitait voilà cinq ans la propagande califale, il faut faire arme de
tout objet. C’est-à-dire que non seulement, jusqu’à l’attaque, le partisan
disparaît dans l’anonymat des foules, mais il peut faire disparaître l’arme dans
la banalité des ustensiles de tous les jours – couteau, hachette, hachoir. Un
partisan « se fond dans le décor » (une expression qui date, justement, de la
guerre de partisans). S’habiller « jeune » ou en migrant sur un bateau est un
déguisement. Un jour viendra où un partisan s’habillera étudiant Sciences-po
pour assassiner un gendarme à Saint-Germain des Prés. « Loup solitaire » dit-on,
mais oublie-t-on, à bien réfléchir à cette métaphore, qu’un loup marche en
horde ? (1) Il
peut attaquer seul. Mais la horde est aux alentours, réelle sur le terrain ou
sur le terrain Internet. Nous n’avons même pas le courage logique de nos
métaphores.
C’est donc le combat de l’irrégulier contre le régulier, du soldat sans
uniforme, qui se fond dans le paysage urbain, contre le soldat régulier qui
devient une cible – les attaques visant des militaires en France, en
Grande-Bretagne, aux États-Unis, au Canada ont été nombreuses ; celles dont on
nous parle, et celles dont on ne nous parle pas, et celles dont on maquille la
réalité. L’essentiel est ici : tout soldat régulier est cible du partisan. Les
médias ont appelé le professeur de collège Samuel Paty un « hussard de la
république », vieille expression radical-socialiste du temps de l’école
obligatoire : le mot est juste pour les djihadistes un instituteur est un
soldat. Un prêtre aussi, milicien du Christ. À égorger.
Les attaques terroristes sont des actes politiques
Une deuxième erreur que commettent volontairement nos faibles politiciens
gestionnaires à vue est de ne pas vouloir nommer ces attaques pour ce qu’elles
sont aussi : des actes politiques. L’acte dit de terreur commis par un partisan
est en effet un acte politique, un acte qui l’aligne sur un parti. Le parti de
dieu à ses yeux. Il ne s’agit pas de terrorisme mais de guerre politique au sens
le plus acéré de l’expression – une guerre qui vise la nature même du politique
tel que nous le vivons. Le djihadisme hérité du califat d’ISIS et toujours
inspiré par lui a ceci de commun avec les organisations révolutionnaires qu’il
exige une belligérance totale, une réquisition absolue de ses partisans. Le
partisan djihadiste fait intégralement partie d’une mission politique. On peut
médicaliser et psychologiser et sociologiser autant qu’on veut pour « expliquer
une radicalisation », le fait est que tous ces partisans d’une guérilla
islamique sont corps et âme à un idéal qui les rend autres et, à leurs yeux,
mieux qu’eux-mêmes. Leur sacrifice n’est pas dans l’ordre du possible mais dans
l’ordre du désir.
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que le sang ne sèche
Quand surgit face à nous ce retour du partisan politique, et donc d’une guerre
politique, nous sommes mentalement désarmés, et nous nous confortons par des
explications amorphes face à ce qui fait le fond du phénomène religieux de la
croyance transférée ici dans l’acte politique : le sacré ne se distingue pas du
profane par une différence de grandeur, un plus ou un moins sur l’échelle de nos
codes et valeurs, mais par une différence de nature : une hostilité radicale à
tout ce que nous sommes, à tout ce que nous voulons être, à tout ce que ceux et
celles dont sommes les descendants furent et voulurent que nous soyons.