L'islam est une mafia (Hamed Abdel-Samad)
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Hamed Abdel-Samad
Hamed Abdel-Samad: “S’il était possible de réformer l’islam, on l’aurait fait il
y a des siècles” (17.04.2017)
Fils d'imam et ancien membre des Frères musulmans dans sa jeunesse, le
Germano-Égyptien Hamed Abdel-Samad est devenu, en Allemagne, une figure
médiatique de la critique de l'islam, ce qui lui a valu plusieurs fatwas et
menaces de mort.
par Nouhad
Fathi
Après deux ans d’attente, Le fascisme islamique sort enfin en France. Le
politologue germano-égyptien y revient sur les vraies origines de l’islam
politique et dresse un parallèle entre le fascisme et l’islamisme.
Le fascisme islamique a
failli ne pas être publié en France. Initialement achetés par Piranha, les
droits d’auteur ont finalement été cédés à Grasset. Le premier en a reporté la
publication après chacun des attentats survenus en France entre 2014 et 2016,
jusqu’à se désister après celui de Nice. “Dans un email, il m’a expliqué
qu’il était incapable de protéger ses employés, que mon livre allait attiser la
haine contre les musulmans et être instrumentalisé par l’extrême droite. S’il
s’était contenté de me dire qu’il avait peur, je l’aurais compris. Mais là, il a
pris sa lâcheté pour une vertu”, raconte l’auteur. Qu’est-ce qui rend ce
livre potentiellement dangereux ? On connaissait les liens entre Amin Al
Husseini et Adolf Hitler. L’ancien mufti de Jérusalem avait même recruté des
musulmans bosniaques pour le compte des divisions SS. Ce que nous apprend Hamed
Abdel-Samad, c’est que le fondateur des Frères musulmans, Hassan El Banna,
entretenait des relations suivies avec Al Husseini au moins à partir de 1927,
soit un an avant la création de la confrérie, qui n’aurait d’ailleurs pas existé
sans la bénédiction du mufti. Le penseur germano-égyptien y trace également les
similitudes entre l’islam politique — “ou l’islam tout court”, comme il
aime à le rappeler — et l’idéologie fasciste, ainsi que les liens entre la
confrérie et le nazisme. Fils d’imam et lui-même ancien membre des Frères
musulmans dans sa jeunesse, Hamed Abdel-Samad est devenu, en Allemagne, une
figure médiatique de la critique de l’islam, ce qui lui a valu plusieurs fatwas
et menaces de mort, au point d’être contraint de vivre sous protection
policière. Dans le monde arabe, il est surtout connu pour sa chaîne YouTube,
Hamed TV, et sa série de vidéos “Box of Islam” dont la dernière en date est
titrée “L’islam n’a pas besoin d’un Martin Luther, mais d’une Coco Chanel”.
Telquel: Qu’est-ce qui vous a motivé à écrire ce livre ?
Hamed Abdel-Samad: Puisque
je vis en Allemagne depuis 20 ans, j’ai étudié l’histoire de l’Allemagne et
celle du nazisme. Avant Le fascisme islamique, j’ai écrit des livres sur
l’islam politique, et pendant mes recherches, j’ai noté que les auteurs
occidentaux qui ont écrit sur la question s’accordent à dire qu’il s’agit là
d’un phénomène nouveau qui est venu comme réaction au colonialisme. J’ai refusé
cette simplification et décidé d’écrire un livre où je démontre les racines
idéologiques de l’islam politique. J’étais parti avec cette idée-là, avant que
d’autres repères commencent à se dessiner. J’ai remarqué alors des similitudes à
la fois étranges et prononcées entre l’islam politique et le fascisme tel qu’il
s’est développé en Allemagne et en Italie durant la première moitié du siècle
dernier.
Sur quels points a porté votre comparaison de l’islam politique avec le fascisme
et le nazisme ?
D’abord dans l’idéologie elle-même. Ils partagent une vision manichéenne du
monde : le bien contre le mal, et les croyants contre les mécréants. L’islam
place les musulmans au-dessus du reste de l’humanité, car ils sont “la
meilleure communauté qu’on ait fait surgir pour les hommes” (Al Imran, 110)
et le nazisme a fait de même avec la race aryenne. Dans le Coran, “Al
Mouchrikoun (les associateurs) ne sont qu’impuretés” (Attawba, 28), “Ils
ne sont en vérité comparables qu’à des bestiaux. Ou plutôt, ils sont plus égarés
encore du sentier” (Al furqan, 44). Les nazis appelaient les juifs “untermenschen”,
ou sous-hommes, et les comparaient à des insectes et des vermines. Il y a en
commun un mépris pour l’ennemi au point de le déshumaniser, et c’est la première
étape de la justification de son extermination. Ces idéologies voient en la
guerre une ordonnance sacrée. Pour les fascistes, la mort sur le champ de
bataille est un honneur, et l’islam voit le jihad comme une fin en soi. Dans le
Coran, “Allah a acheté des croyants, leurs personnes et leurs biens en
échange du Paradis. Ils combattent dans le sentier d’Allah : ils tuent et ils se
font tuer” (Attawba 111), et dans un hadith authentifié, Mohammed a dit : “Quiconque
meurt sans avoir combattu et sans en avoir jamais eu le désir meurt en ayant
l’un des traits caractéristiques de l’hypocrisie” (1341, Mouslim).
Ensuite, ils se ressemblent dans la structure. L’idée des milices comme moyen de
protéger l’idéologie et effrayer les ennemis — “Et préparez contre eux tout
ce que vous pouvez comme force et comme cavalerie équipée, afin d’effrayer
l’ennemi d’Allah et le vôtre”, (Al Anfal, 60) —, et le principe du guide
suprême, un chef inspirant, infaillible, incritiquable et sacré, un Führer ou un
Duce, que les musulmans ont en la personne du Prophète.
Enfin, ils partagent les mêmes buts : la domination mondiale et la rééducation
de la société, car pour eux cette entité est perverse. L’islam et le fascisme ne
font pas de différence entre l’individu et la société, ils se mêlent des détails
les plus précis de la famille nucléaire et veulent la ramener à son état
pré-moderne, avec l’homme comme chef de famille et une distribution
traditionnelle des rôles entre les deux sexes.
Dans votre livre, vous soutenez que Hassan El Banna s’est largement inspiré
d’Adolf Hitler dans sa conception de la confrérie des Frères musulmans. En quoi
se manifeste cette influence ?
Par exemple, après la création de leur confrérie en 1928, les Frères musulmans
ont constitué des milices calquées sur les modèles nazi et fasciste, et il y
avait des similitudes non seulement dans l’idéologie, mais aussi dans
l’organisation. Les scouts de Hassan El Banna, — qu’il appelait les “Jawala”—
ont été inspirés par les jeunesses hitlérienne et mussolinienne, si bien que ses
membres portaient eux aussi des blouses brunes et noires. Hitler parlait de “Weltherrschaft”(domination
du monde), et El Banna de “Oustadiyat al âalam” (le professorat du
monde). Ali Âachmaoui, ex-chef des renseignements secrets des Frères, a écrit
dans ses mémoires (L’histoire secrète des Frères musulmans, publié en
2006, ndlr) que cet organe a été inspiré à El Banna par la Gestapo.
Est-il vrai que Hitler s’était converti à l’islam et a adopté le nom de Hadj
Mohammad Hitler ?
Les Frères musulmans jouaient sur tous les fronts. Tantôt ils le faisaient avec
les Britanniques, tantôt avec les Allemands. Ils ont fait la propagande d’Hitler
en Égypte en répandant la rumeur sur sa conversion à l’islam. Ils ont aussi dit
qu’il a effectué son pèlerinage à La Mecque en secret, qu’il s’appelait
désormais Hadj Mohammad Hitler et que, quand il prendra Le Caire, il épargnera
les mosquées puisqu’il est un musulman, et donc un unificateur, et son but est
de mettre fin à l’occupation britannique. Et mon livre comporte les références
qui prouvent la coopération directe entre les Frères et les nazis.
Vous dites aussi qu’il y avait un but commun entre les Frères musulmans et les
nazis consistant à affaiblir la présence britannique en Afrique du Nord. Quel
était leur vrai projet dans la région ?
Les Frères musulmans voulaient s’étendre, et pour ce faire, ils étaient prêts à
collaborer avec le diable lui-même. Et, malheureusement, ils ont réussi. Si le
PJD existe au Maroc et Ennahda en Tunisie, c’est parce qu’ils sont les produits
de ce vieux projet d’expansion.
Aujourd’hui, comment les Frères musulmans voient-ils leur relation avec le
nazisme ?
Ils ont changé de couleur. À l’apogée du fascisme et du nazisme, Hassan El Banna
couvrait d’éloges Hitler et Mussolini et admirait leur manière de mener leurs
peuples vers la victoire et la grandeur. Mais à partir de 1948, il s’est mis à
qualifier les deux mouvements d’échecs, et à répéter que la solution ultime
était l’islam. Lors d’une conférence en Allemagne, une personne du public a
demandé à Tariq Ramadan s’il était vrai que son grand-père était l’ami d’Amin Al
Husseini et un grand admirateur d’Hitler, il a nié tout en bloc. Il se trouve
qu’une photo datant de 1927 sur laquelle Hassan El Banna et Amin Al Husseini
posaient ensemble figurait dans les archives du site des Frères
ikhwanonline.info. Au lendemain de cette conférence, cette photo a été
supprimée. Amin Al Husseini a une très mauvaise réputation en Europe, c’est un
criminel de guerre qui a échappé à la punition en se réfugiant en Égypte.
Que pensez-vous de Tariq Ramadan ?
Tariq Ramadan essaie de moderniser l’idéologie de la confrérie en disant qu’elle
n’est pas incompatible avec la démocratie. Mais ce système a été vivement
critiqué par El Banna dans Rissalat Annour (La lettre de la lumière), où
il a exhorté le roi Farouk à dissoudre tous les partis politiques de peur qu’ils
n’attisent la fitna dans la nation. Il lui a dit qu’il ne devait rester
qu’un seul parti, celui de l’islam et d’Allah. L’idée du parti unique est un
autre point commun avec le fascisme. Les Frères refusaient catégoriquement la
démocratie, jusqu’à ce qu’ils découvrent que le seul moyen d’accéder au pouvoir
était à travers les urnes.
Comment jugez-vous la manière avec laquelle l’Occident gère le radicalisme
islamique ?
C’est un mélange d’intérêt, de peur et de naïveté. L’intérêt politique et
économique entre l’Occident d’un côté, et les pays du Golfe, la Turquie et
l’Afrique du Nord de l’autre. La peur du terrorisme et la crainte que les
musulmans qui vivent déjà dans ces sociétés occidentales ne servent de cheval de
Troie à des dirigeants islamistes comme Recep Erdogan. À titre d’exemple, face
au refus des Pays-Bas de permettre à l’AKP de mener sa campagne électorale sur
son sol, un membre du parti islamiste turc avait déclaré que “les Pays-Bas ne
comptent que 48 000 soldats, mais il y a 400 000 Turcs sur place. Nous pouvons
facilement envahir le pays pour peu que nous le décidions”. La gauche
occidentale est devenue extrêmement naïve, elle considère ces islamistes comme
des opprimés, et croit en leur discours de victimisation. Ces gens-là attaquent
mes écrits plus que les musulmans eux-mêmes, ils me traitent de raciste alors
que je critique les idées, pas les groupes ethniques. D’ailleurs, les musulmans
ne sont pas un groupe ethnique homogène.
À chaque caricature ou critique, les musulmans dans le monde réagissent de
manière violente. Quelle est l’origine de cette hypersensibilité ?
Il y a un énorme décalage entre notre identité fantasmée et notre réalité
objective, entre notre passé et notre présent. Nos livres d’histoire nous font
croire que tous les musulmans sont des Saladin, des Qutuz et des Tariq Ibn Ziad.
Des chevaliers vaillants — mashallah — capables de conquérir l’Andalousie
et l’Afrique du Nord, et qui ne sont que virilité, jeunesse et fierté. La vérité
actuelle c’est la pauvreté, le déni, l’ignorance et la frustration sexuelle.
Nous n’arrivons pas à accepter notre nouveau rôle. Allah a dit que nous sommes “la
meilleure communauté qu’on ait fait surgir pour les hommes”, alors comment
osent-ils se comporter avec nous de la sorte ? D’autant que le Coran et le
Hadith ont implanté dans nos têtes cette idée du mécréant sale qui veut éteindre
la lumière de Dieu.
Croyez-vous en la possibilité d’une réforme de l’islam ?
S’il était possible de réformer l’islam, on l’aurait fait il y a des siècles.
L’islam est une entité ultra-sacralisée, qui oserait réformer la parole d’Allah
? De plus, il n’y a pas d’autorité centrale responsable de l’islam, comme c’est
le cas pour les Églises catholique et orthodoxe. La religion est devenue notre
unique source identitaire, et il y a une forte volonté de la préserver. L’islam
est fondamentalement incompatible avec la laïcité, car c’est un héritage qui
mélange la religion avec l’économie, la politique et le militarisme, et il
complique les relations avec quiconque n’est pas musulman. Et, personnellement,
je ne crois pas en la salvation collective. Ce que nous pouvons réformer en
revanche, c’est la pensée individuelle. Si nous considérons l’islam comme un
supermarché, nous ne pourrons pas améliorer l’endroit ou ses marchandises, mais
nous pouvons améliorer le comportement du consommateur de sorte qu’il ne
choisisse pas les produits périmés.
Hamed Abdel-Samad : « L'idée du djihad est aussi vieille que l'islam lui-même »
(10.03.2017)
Publié le 10/03/2017 à 16h38
INTERVIEW - Le Germano-Egyptien Hamed Abdel-Samad est l'un des plus grands
spécialistes de l'islam politique en Europe. La traduction de son best-seller, Le
Fascisme islamique, sort finalement en France, chez Grasset, six mois après
que son éditeur initial a renoncé à le publier.
« Le Fascisme islamique.Une analyse», de Hamed Abdel-Samad. Traduit de
l'allemand par Gabrielle Garnier. Grasset, 304 p., 20 €. - Crédits photo : ,
Né en 1972 près du Caire, fils d'imam, Hamed Abdel-Samad est l'un des penseurs
de l'islam les plus reconnus en Allemagne. Menacé de mort par les islamistes, il
vit sous protection policière. Son essai, Le
Fascisme islamique , immense succès en Allemagne en 2014,
aurait dû être publié en français à l'automne 2016 par la maison d'édition
Piranha qui en avait acquis les droits. Mais son directeur, Jean-Marc Loubet,
s'était ravisé pour des raisons de sécurité, mais aussi pour ne pas «apporter de
l'eau au moulin de l'extrême droite». Après que l'affaire a suscité un tollé en
Allemagne, il paraît aujourd'hui chez Grasset. L'auteur y dresse un parallèle
entre l'idéologie fasciste et l'islamisme, en remontant jusqu'aux origines du
Coran. Pour Hamed Abdel-Samad, l'idéologie fascisante est ancrée dans les
racines de l'islam: «L'islamisme n'est pas la trahison d'une religion immaculée,
mais la tare originelle de sa traduction dans le champ politique.»
Dans votre dernier livre, vous expliquez que l'islamisme est un fascisme…
Je fais la comparaison à trois niveaux: l'idéologie, la structure
organisationnelle et les objectifs. Islamisme et fascisme partagent le monde
entre le bien et le mal, considèrent leurs adeptes comme des élus et le reste du
monde comme des ennemis. Ils nourrissent tous deux leurs adeptes du poison de la
haine et des ressentiments, déshumanisent leurs ennemis et appellent à leur
extermination. La haine est idéalisée en vertu, et la lutte mystifiée en
expérience transcendante. Pour ces deux idéologies, la lutte n'est pas seulement
le moyen pour atteindre des objectifs politiques mais devient un but en soi.
Aussi bien dans l'islamisme que dans le fascisme, on ne combat pas pour vivre,
mais on vit pour combattre. Le principe du chef est central dans les deux cas.
Le chef - ou, le cas échéant, le prophète - possède l'accès exclusif à la vérité
absolue. Il est chargé d'une mission sacrée afin d'unir la nation et d'éliminer
les ennemis. On ne peut pas le critiquer car toute l'identité du peuple
(l'oumma) dépend de lui. Les deux idéologies s'emploient à dominer le monde et
le rééduquer ensuite.
L'islam est né au VIIe siècle dans la péninsule arabique, le fascisme et le
nazisme sont des idéologies du XXe siècle…
Le fascisme n'est pas seulement une idéologie politique, mais aussi une religion
politique avec ses prophètes, ses secrets, ses vérités absolues et ses
épiphanies sacrées. L'islam n'est pas seulement une religion, mais aussi une
idéologie politique avec une mission clairement définie. L'islam fait encore
aujourd'hui partie de notre réalité politique. Mahomet continue à régner depuis
sa tombe et décide de la vie et de la mort.
«L'islam modéré est un islam qui attend seulement sa chance de prendre le
pouvoir. Nous nous souvenons tous de l'attitude d'Erdogan quand il avait besoin
du soutien de l'Occident. Depuis, il a montré son vrai visage»
Selon vous, il n'existe pas d'islamisme modéré. Pourquoi?
L'islam n'a pas été créé afin de faire partie d'un ordre mondial façonné par les
hommes, mais pour modeler le monde depuis le haut. Il se montre sous un jour
modéré seulement là où il n'a pas (encore) conquis le pouvoir. Là où il détient
les rênes politiques et juridiques, il pratique des prisons à ciel ouvert et
l'oppression des minorités, le mépris de la femme et des droits de l'homme.
L'islam modéré est un islam qui attend seulement sa chance de prendre le
pouvoir. Nous nous souvenons tous de l'attitude d'Erdogan quand il avait besoin
du soutien de l'Occident. Depuis,
il a montré son vrai visage.
L'une des thèses les plus provocantes de votre livre est que l'idéologie
fascisante est ancrée dans les racines mêmes de l'islam…
«Les Frères musulmans ainsi que l'Etat islamique ne font rien d'autre que ce que
Mahomet et ses adeptes ont fait auparavant: la conquête, l'esclavage,
l'assassinat des prisonniers de guerre et l'exécution de peines corporelles»
L'islam est né politique. C'est sa tare de naissance: Mahomet n'était pas
seulement prophète, mais aussi chef d'armée, législateur, juge et ministre des
Finances. Le mélange entre croyance, pouvoir, guerre et législation est ancré
dans le Coran. Ce ne sont pas les Frères musulmans qui ont commencé à diviser le
monde en croyants bénis et incroyants damnés, mais Mahomet. L'idée du djihad
comme combat pour la cause divine est aussi vieille que l'islam lui-même. Dieu
lui-même se décrit comme guerrier dans le Coran, qui tue des incroyants de ses
mains. Les Frères musulmans ainsi que l'Etat
islamique ne font rien d'autre que ce que Mahomet et ses adeptes ont
fait auparavant: la conquête, l'esclavage, l'assassinat des prisonniers de
guerre et l'exécution de peines corporelles.
Ils ne font pas mauvais usage du Coran, ils traduisent seulement en actes ce que
le Coran exige. Il y a 206 passages dans le Coran qui glorifient la violence et
la guerre. La décapitation des incroyants y est exigée à deux reprises. On peut
bien sûr lire tous ces passages en les plaçant dans leur contexte historique,
mais le Coran s'entend lui-même comme la parole directe et ultime de Dieu pour
les hommes. Il se présente comme un manifeste politique et une constitution
valables pour tous les temps. C'est là qu'il y a un problème. L'intangibilité du
Coran et du Prophète empêche la conceptualisation historique de ces passages et
la possibilité de les déclarer inopérants pour notre vie d'aujourd'hui. Nous
avons besoin d'un discours post-coranique et post-prophétique!
Une telle critique ne risque-t-elle pas «d'essentialiser» les musulmans?
Je n'ai jamais dit que tous les musulmans étaient des fascistes. Certes, il n'y
a pas d'islam modéré, mais seulement des musulmans modérés. Tous les musulmans
ne sont pas des corans ambulants. L'islam est multiple. L'aspect spirituel et
social est agréable et important pour les hommes. L'aspect politique et
juridique est dépassé et porte des caractéristiques fascistoïdes. Parmi les
musulmans, beaucoup ont neutralisé dans leur vie quotidienne la dimension
politique de l'islam, et ce depuis longtemps. Beaucoup de musulmans sont des
démocrates, non pas parce que l'islam possède une orientation démocratique, mais
parce que ce sont des personnes raisonnables et pragmatiques. Pour autant, on ne
peut pas dire que 99,9% des musulmans soient pacifiques. Car la paix ne signifie
pas seulement l'absence de violence et de terreur, mais l'élimination des
structures et des cadres qui mènent à la violence. La plupart des musulmans ne
commettent certes pas d'attentats terroristes, mais beaucoup d'entre eux
soutiennent la théologie de la violence qui en est le fondement. Beaucoup sont
certes contre l'Etat islamique, cependant ils ne s'opposent ni à l'idée du
califat ni à la charia en soi.
Comment expliquez-vous l'antisémitisme dans le monde arabe? Est-il uniquement
lié au conflit israélo-palestinien?
«L'antisémitisme a davantage à voir avec l'échec du monde arabe et avec
l'éducation. On nourrit la population avec le poison de la haine»
On peut comprendre quand un Palestinien à Gaza ou un Libanais dans le Liban-Sud
condamne Israël parce qu'ils ont perdu leur maison ou leur famille dans la
guerre. Cependant, que des Marocains ou des Mauritaniens, qui n'ont strictement
rien à voir avec ce conflit, haïssent les juifs de manière pathologique relève
d'autre chose. Les juifs, dans le Coran, sont désignés à plusieurs reprises
comme étant des escrocs, des incroyants ou encore les descendants des singes ou
des porcs. Allah, dans le Coran, applaudit les musulmans qui tuent des juifs et
les chassent de leurs villes. Mahomet a prophétisé que les musulmans et les
juifs se battront les uns contre les autres jusqu'à la fin du monde. Que,
pendant la lutte finale, les juifs devront se cacher derrière des rochers et des
arbres, et que ceux-ci s'écrieront alors: «O musulman, derrière moi se cache un
juif, viens le tuer.» Cette exclamation célèbre de Mahomet est aujourd'hui
enseignée dans toutes les écoles coraniques.
L'antisémitisme a davantage à voir avec l'échec du monde arabe et avec
l'éducation. On nourrit la population avec le poison de la haine et la prive
d'énergies importantes dont on a besoin pour être productif. Il faut croire que
les dirigeants, qu'ils soient islamistes ou laïques, ont besoin d'ennemis et de
boucs émissaires pour déplacer l'attention de leur propre misère et canaliser la
colère de la population vers une autre cible. Le fait que Mein Kampf et Les
Protocoles des Sages de Sion fassent partie des best-sellers de longue durée
dans le monde arabe est une preuve de son indigence. Kant, Voltaire et John Lock
sont des inconnus pour la plupart. Et ce n'est pas la faute d'Israël.
En France, le débat sur l'islam est très vif. Est-ce également le cas en
Allemagne?
De soi-disant spécialistes-ès-terrorismes ont cru pendant longtemps que
l'Allemagne serait à l'abri parce qu'elle jouissait d'une image positive dans le
monde arabe et avait à l'époque condamné la guerre contre l'Irak. Puis, le fait
qu'elle n'ait pas d'histoire coloniale au Proche-Orient a fait croire à certains
que l'Allemagne allait être épargnée. Mais les terroristes islamistes haïssent
l'Occident non seulement parce qu'il s'est engagé militairement dans le monde
musulman, mais aussi parce qu'il est décadent et incroyant et qu'il empêche les
musulmans d'exécuter le plan divin et de rétablir l'ordre du monde sous la
domination de l'islam.
On a cru que l'ouverture des frontières et la culture de l'accueil envers les
réfugiés musulmans allaient protéger l'Allemagne de la haine islamiste. Mais
c'est exactement le contraire qui s'est produit. Cologne
marque une césure. L'opinion a basculé quand la population a tout à
coup compris que beaucoup des réfugiés qui avaient été accueillis avec des
couvertures et des peluches par des femmes ont justement importuné ou violenté
ces mêmes femmes quelques mois plus tard. Et c'est seulement après l'attaque
au marché de Noël de Berlin à la fin de l'année dernière que l'on a
compris que la politique des frontières ouvertes pouvait aussi représenter un
danger existentiel.
«Une partie de la gauche n'analyse même plus les problèmes, elle ne fait que les
moraliser. Or, ce n'est pas une protection pour les musulmans, sinon une forme
de racisme qui consiste à abaisser le niveau d'exigence»
En France, l'écrivain Kamel Daoud a été accusé d'islamophobie pour avoir lié les
viols de Cologne à la misère sexuelle du monde musulman…
Je connais Kamel
Daoud mais aussi l'attitude hostile à l'égard de sa critique de
l'islam de la part des musulmans et de la gauche française. J'ai rencontré ce
même cas de figure en Allemagne. Plutôt que d'affronter la critique de manière
rationnelle, on essaie de diffamer celui qui critique et de le réduire au
silence. Depuis le 11 Septembre, des musulmans tentent de démonter la critique
de l'islam en mettant en avant l'islamophobie ou le racisme. Mais plutôt que de
défendre l'islam avec autant de véhémence, ils feraient mieux de chercher les
véritables raisons de la violence et de la misère dans le monde musulman. Et
plutôt que d'attaquer des voix critiques comme Kamel Daoud ou moi-même, ils
feraient mieux de s'élever contre l'Etat islamique ou contre l'islam politique
en Europe.
Cela est valable pour la gauche aussi, qui en temps normal n'a pas de problème
avec la critique de la religion tant qu'il s'agit du christianisme, mais qui
fait du chantage - en parlant de racisme - aux détracteurs de l'islam. Une
partie de la gauche n'analyse même plus les problèmes, elle ne fait que les
«moraliser». Or, ce n'est pas une protection pour les musulmans, sinon une forme
de racisme qui consiste à abaisser le niveau d'exigence. On n'attend pas des
musulmans qu'ils puissent supporter les mêmes critiques que les adeptes d'autres
religions, on les transforme en victimes, les empêchant ainsi de régler les
problèmes dont ils sont eux-mêmes responsables.
Alors, que faire pour enrayer la percée de l'islamisme…
«L'islam a besoin d'une sécularisation et d'un processus démocratique.
L'éducation de la haine dans les mosquées et dans les foyers doit cesser»
L'islam a besoin d'une sécularisation et d'un processus démocratique.
L'éducation de la haine dans les mosquées et dans les foyers doit cesser. Le
sentiment d'humiliation permanente et de paranoïa par rapport à l'Occident doit
être surmonté. Les Etats occidentaux et démocratiques ne doivent pas permettre,
au nom de la tolérance, que les intolérants construisent leurs propres
infrastructures et diffusent leur idéologie. Nous ne devons pas seulement
débattre de ce que nous devrions offrir aux musulmans, mais aussi de ce que nous
attendons d'eux.
Nous sommes en droit d'attendre une égalité du traitement et, par conséquent,
que Mahomet et le Coran puissent être critiqués tout autant que Jésus et la
Bible. Nous pouvons aussi attendre d'eux qu'ils interviennent davantage pour
lutter contre la théologie de la haine plutôt que d'organiser des campagnes de
promotion de l'islam. Qu'ils descendent plus souvent dans la rue pour protester
contre l'Etat islamique, au lieu de s'énerver contre des caricaturistes et des
détracteurs de l'islam. L'islam n'a pas de problème d'image, il a un problème
avec lui-même et avec l'interprétation de ses textes sacrés et de sa mission
politique.
Vous avez vous-même eu des difficultés à publier votre livre en France.
Oui, les éditions
Piranha auraient dû publier mon livre en septembre 2016. Mais
seulement quelques semaines avant la date de publication, la maison d'éditions a
annulé la publication. Après les attentats de Charlie Hebdo, du Bataclan et de
Nice, elle a eu peur de devenir une cible des islamistes pour la publication
d'un livre intitulé Le Fascisme islamique. J'aurais compris si cela
s'était arrêté à cet argument, car c'est en effet une question de vie et de mort
et je n'attends pas que tout un chacun prenne les mêmes risques que moi. Mais la
maison a voulu transformer cette nécessité en vertu, et la peur en argument
moralisateur.
Le renoncement à la publication devait ainsi protéger les musulmans de la montée
de l'extrémisme de droite en France. Mais ce retrait n'était rien d'autre qu'une
génuflexion lâche face aux islamistes et à l'extrême droite. Nous ne pouvons pas
lutter contre les radicaux si nous passons sous silence des débats nécessaires.
Celui qui veut empêcher que des racistes et des extrémistes s'emparent du thème
de l'islam et des migrations et l'exploitent à des fins de haine et d'exclusion
doit mener ce débat honnêtement et publiquement dans l'espace politique et
intellectuel. Je n'aurais jamais pu imaginer qu'un éditeur argumente ainsi dans
le pays de Voltaire en 2016. Heureusement que la maison Grasset a décidé de
publier le livre. Voltaire n'est pas encore à terre. Mais pour combien de temps?
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constitue le centre de l'islam»
Dans son livre "Le fascisme islamique", l'intellectuel allemand Hamed
Abdel-Samad s'appuie sur l'histoire pour offrir une analyse sans concession sur
les origines du totalitarisme islamique
Le fascisme islamique
Publié le 12 Mars 2017 - Mis à jour le 17 Mars 2017
Atlantico : En relisant l'histoire de l'Islam à la lumière de l'idéologie
fasciste, en montrant les points communs entre les deux mouvements, ne
cédez-vous pas à la reductio ad hitlerum qui renvoie tout phénomène
antagoniste à l'émergence du totalitarisme nationaliste européen ?
Hamed Abdel-Samad : Le
fascisme en Europe n’a ni commencé ni pris fin avec Hitler. Il peut être décrit
comme le résultat de différentes évolutions assez longues qui se sont
superposées dans le temps. Ce sont en particulier les nations tardives telles
l’Allemagne et l’Italie – ces pays ayant trouvé leur union nationale tardivement
et de manière incomplète, puis se sentant humiliés par les grandes puissances,
l’Angleterre et la France – qui ont été réceptives à cette idéologie. Bien que
le fascisme soit un phénomène moderne, il possède néanmoins des racines
profondes dans l’Histoire européenne, dans son appréhension de la guerre, des
sagas et du héroïsme.
L’islam de son côté est une religion tardive qui véhicule le sentiment –
particulièrement aujourd’hui – d’être mal traitée par l’Histoire. Le mélange
d’impuissance et du fantasme de toute-puissance, d’humiliation et de supériorité
morale, fait la spécificité de l’islam et du fascisme. Nous assistons à une
tentative d’arrêter les horloges de l’Histoire et de ramener le monde et la
société vers un passé glorieux qui n’a jamais vraiment existé. Nous ne devons
pas oublier que le premier mouvement fasciste avait ses racines en France.
L’Action Française était un groupe de catholiques militants qui rejetaient la
modernité et qui voulait rétablir le pouvoir du pape comme chef de l’Europe. Les
islamistes poursuivent le même objectif aujourd’hui : ils souhaitent faire
gouverner le Prophète depuis sa tombe. Cette attitude n’est pas moderne, elle
est aussi ancienne que l’islam lui-même.
La comparaison entre islamisme et fascisme ne doit pas servir à relativiser les
atrocités commises par le fascisme, mais plutôt à pointer du doigt les dangers
semblables qui guettent aujourd’hui. La jauge pour parler de génocide ne doit
pas être placée à 6 millions. Il serait criminel de négliger des dangers
seulement parce qu’ils nous paraissent (pour l’instant) plus anodins que ceux du
fascisme. Hitler a fait l’ascension que l’on sait entre autres parce que l’on
avait relativisé depuis le début le danger qu’il représentait. Il ne faut jamais
minimiser le danger quand une idéologie de la haine rencontre les foules
fanatisées. Et c’est précisément là où islam et fascisme se retrouvent.
Dans votre ouvrage, vous opposez constamment islamisme et modernité. Mais des
mouvements musulmans tels que les Frères Musulmans, l'Arabie saoudite ou l'AKP
d'Erdogan ne s'appuient-ils pas tout particulièrement sur des idéologies
modernes différentes et complexes telles le capitalisme, le républicanisme, la
laïcité ou le socialisme ? L'islamisme n'est-il pas particulièrement puissant
aujourd'hui justement parce qu'il a parfaitement intégré la modernité ?
Les mouvements islamistes se sont seulement réconciliés avec les instruments de
la modernité, jamais avec son esprit. Ils se servent volontiers des armes
modernes de l’Occident, des moyens de communication et même des systèmes de
gouvernance, mais ils continuent à rejeter l’esprit des Lumières,
d’émancipation, de liberté individuelle et de pensée critique. Des mouvements
comme l’AKP ou les Frères Musulmans acceptent le système électoral moderne afin
d’arriver au pouvoir, mais ensuite, ils ne respectent pas les principes
démocratiques. Ils considèrent les minorités comme un danger pour l’ouma, et
l’opposition, comme des ennemis de la foi. Ils confondent morale et loi,
divergences d’opinions et trahison. L’attitude de l’islamisme par rapport au
monde moderne ne vise pas à moderniser l’islam mais à islamiser la modernité.
C’est la raison pour laquelle les activistes politiques de ces mouvements se
cachent plutôt derrière les mots démocratie, auto-détermination et société
civile. Ils évitent d’utiliser des mots comme sharia ou califat non pas parce
qu’ils les rejettent mais parce qu’ils savent que cela ne leur permettrait pas
de trouver des alliés en Occident. Erdogan a pu apparaître longtemps comme un
islamiste modéré et moderne aux yeux de beaucoup d’experts. Mais dès qu’il est
arrivé au zénith de son pouvoir, il a montré son vrai visage. Cette attitude
sélective avec le monde moderne défigure à la fois l’islam et la modernité et
freine les réformes dans le monde musulman. On danse à l’entresol entre deux
étages, mais ni ceux du dessus ni ceux du dessous ne peuvent voir la danse. Ces
acrobaties identitaires épuisent les forces vitales de la jeunesse et renforcent
les tensions entre l’islam et l’Occident. Les salafistes et terroristes me
paraissent plus honnêtes car ils rendent leur idéologie et leurs objectifs
publics, sans les voiler pour des raisons tactiques. L’islamisme moderne a
toujours été une contre-révolution contre les valeurs de la modernité, et il
l’est encore. Et tout comme il n’existe pas de voie médiane entre fascisme et
liberté, il n’y a pas d’islamisme modéré – seulement un islam qui n’est pas
encore arrivé au pouvoir.
Dès lors, quelles peuvent être les alternatives pour l'Islam dans les pays où
elle est une religion minoritaire ?
En vérité les minorités musulmanes en Occident bénéficient d’une occasion en or
pour se détacher de la tutelle des textes anciens et pour opérer un
renouvellement de la pensée. Ils vivent en liberté, relativement aisément, et ne
sont pas directement concernés par les conflits du Proche-Orient. Hélas, c’est
le contraire qui se passe. Les musulmans utilisent plutôt l’islam comme bouclier
identitaire pour se protéger des influences occidentales. Ils mènent souvent une
vie plus conservatrice que les musulmans vivant au sein du monde musulman et se
révoltent contre toute ouverture et toute réforme. Ils ne développent pas une
théologie adaptée à la réalité de leur vie en Occident, mais ils importent des
croyances dépassées d’Arabie-Saoudite, d’Egypte ou de Turquie. La plupart des
mosquées en Occident sont financées par les Etats du Golfe ou la Turquie et sont
donc liées aux objectifs politiques de ces pays. Une émancipation de la pensée
devient par conséquent plus difficile à atteindre ici que dans les pays du
Proche-Orient. Un islam adapté à son temps et d’inspiration européenne reste
donc une chimère, un rêve de quelques réformistes qui, tels des ruisseaux
isolés, sèchent dans le désert, avant de s’unir dans un mouvement nommé les
Lumières ?
Hamed Abdel-Samad : "Il y a une fascination pour le djihad dans l’islam"
(04.03.2017)
Hamed Abdel-Samad. (©Anna Weise/Ropi-Rea)
Dans un best-seller très polémique, "le Fascisme islamique", qui a tardé à
paraître en France, le politologue germano-égyptien Hamed Abdel-Samad ose un
parallèle entre l'islam et le fascisme. Entretien avec un penseur menacé de
mort.
L'Obs Publié le 04
mars 2017 à 10h06
Fils d'imam et ancien membre des Frères musulmans, le germano-égyptien Hamed
Abdel-Samad est devenu une figure de la critique de l'islam en Allemagne. La
traduction de son best-seller «Le Fascisme islamique», essai
virulent qui établit des parallèles entre islamisme et idéologie fasciste,
devait paraître en France en 2014.
Mais l'éditeur Piranha s'est ravisé, expliquant à l'auteur qu'il ne mesurait pas
les risques pour la sécurité de sa maison d’édition, tout en ne voulant pas
faire le jeu de l'extrême droite après l'attentat de Nice. L'affaire a déclenché
une vague d’indignation dans la presse allemande, qui a noté que le livre
d'Hamed Abdel-Samad avait pu paraître aux Etats-Unis après avoir été publié en
Allemagne en 2014.
La querelle de l'islamophobie : Pascal Bruckner
face à Olivier Roy
"Voltaire se retournerait dans sa tombe"
L'OBS. Vous êtes l'un des politologues de l'islam les plus renommés en
Allemagne, votre pays d'adoption. Suite à vos écrits, plusieurs fatwas ont été
prononcées contre vous en Egypte, votre terre natale: comment vivez-vous cette
déchirure?
Hamed Abdel-Samad : "L'islamisme est présent dans la naissance même de l'islam"
(04.08.2016)
Best-seller en Allemagne, son essai polémique "Le Fascisme islamique" ne
paraîtra pas en France. Entretien avec un penseur menacé de mort par les
islamistes.
PROPOS RECUEILLIS PAR THOMAS
MAHLER
Publié le 04/08/2016 | Le Point.fr
Dans "Le Fascime islamique", Hamed Abdel-Samad montre que la violence est
consubstantielle à l'islam, même s'il reconnaît que le Coran peut aussi être lu
dans sa dimension "éthique" et "spirituelle". © Anna Weise/ROPI-REA
Fils d'imam et ancien membre des Frères musulmans dans sa jeunesse, le
Germano-Égyptien Hamed Abdel-Samad est devenu, en Allemagne,
une figure médiatique de la critique de l'islam, ce qui lui a valu plusieurs
fatwas et menaces de mort. La traduction de son best-seller Le Fascisme
islamique, essai virulent qu'on pourrait comparer au travail du Michel
Onfray athéologue et qui établit des parallèles entre islamisme et
idéologie fasciste, devait paraître en France le
16 septembre. Mais fin juillet, l'éditeur Piranha s'est ravisé, expliquant à
l'auteur qu'il ne mesurait pas les risques pour la sécurité de sa petite
structure, tout en ne voulant pas « apporter de l'eau au moulin » de l'extrême
droite après l'attentat de Nice. L'affaire a déclenché un tollé dans la presse
allemande, qui a rappelé que le livre d'Hamed Abdel-Samad était certes
critiquable, mais qu'il avait pu paraître sans problème aux États-Unis début
janvier après avoir été publié en Allemagne en 2014 par un grand éditeur
(Droemer Knaur).
LIRE aussi Pourquoi
« Le Fascisme islamique » ne paraîtra pas à la rentrée
En exclusivité pour Le Point, l'auteur a accepté à la fois de s'exprimer
sur cette polémique éditoriale, mais aussi sur le fond d'un ouvrage que les
lecteurs français ne liront donc pas à la rentrée.
La traduction de votre essai Le Fascisme islamique devait paraître le 16
septembre, mais votre éditeur Piranha a brusquement fait volte-face. Que
s'est-il passé ?
Fin juillet, Jean-Marc Loubet (NDLR : cofondateur et patron de Piranha) a envoyé
un mail à mon éditeur allemand annonçant qu'il retire le livre. Il a expliqué
qu'au vu de l'actualité sanglante en France, il avait consulté sa petite équipe.
Ils ont décidé à l'unanimité de ne pas le publier pour deux raisons. Le premier
argument, c'est qu'on ne mesure pas le risque physique d'une publication en
France. Selon ses mots, « ça peut être nul, ça peut être mortel ». Je comprends
que c'est plus facile de cibler une petite maison d'édition, qui n'a pas les
moyens d'assurer une protection à sa porte. Si Jean-Marc Loubet avait fini son
mail là-dessus, j'aurais dit OK et accepté sans problème ce retrait. Je
vis sous protection policière, j'ai reçu des menaces de mort, et je ne peux pas
demander aux autres de prendre le même risque. Moi, je prends ce risque car je
crois intimement qu'être effrayé face à des menaces n'arrangera pas les choses.
Au contraire, plus nous serons silencieux et plus nous aurons peur, plus les
islamistes seront brutaux, car ils ne fonctionnent que selon cette logique :
tuer et effrayer. C'est la stratégie du terrorisme. Mais j'aurais compris la
décision de Jean-Marc Loubet, car c'est une affaire de vie ou de mort.
En revanche, ce que je n'accepte pas, c'est son deuxième argument, d'ordre
moral. Il a écrit qu'il ne voulait pas « apporter de l'eau au moulin de
l'extrême droite ». Ça, c'est l'argument typique d'un chantage moral auquel je
suis sans cesse confronté. Je suis un penseur libre, qui n'appelle pas à la
violence, qui ne stigmatise pas les musulmans – au contraire, je les défends
comme êtres humains –, mais qui s'en prend à une idéologie que j'estime
violente. J'ai le droit, en Allemagne, plus de 200 ans après Kant et
230 ans après Voltaire, de publier ces pensées sans devoir avoir peur et être
terrifié. C'est pour ça que je suis tellement en colère. Jean-Marc Loubet a
essayé de transformer la peur en une action vertueuse. Je trouve ça très
dangereux. Le Spiegel l'a bien expliqué : c'est une défaite non seulement
contre l'islamisme, mais aussi contre l'extrême droite.
Votre livre a été publié en Allemagne et aux États-Unis sans que cela pose de
problèmes. Serait-ce plus compliqué en France ?
Il y a chez vous des critiques de l'islam, je pense notamment au remarquable 2084 :
la fin du monde de Boualem Sansal. C'est donc plus lié à un éditeur
précis. Mais c'est le début d'une certaine humeur qui pourrait se répandre en
France et qui m'effraie. J'aime tellement ce pays que je n'aimerais pas le voir
succomber à une autocensure et à des arguments qui expliquent qu'un écrivain a
une responsabilité et qu'il doit préserver les susceptibilités. Ça serait une
catastrophe pour la qualité du débat intellectuel. Et qui, plus qu'un éditeur,
est censé défendre ces débats ? Le livre est l'endroit privilégié pour avoir ces
discussions. Si nous n'exprimons pas notre esprit critique, alors nous
permettrons à l'extrême-droite de monopoliser ces sujets et de se présenter
comme la garante de la démocratie et de la liberté d'expression, ce qui n'est
évidemment pas vrai. En nous retirant de ces sujets, nous leur offrons cet
espace.
Vous êtes le fils d'un imam égyptien et, étudiant, vous étiez membre des Frères
musulmans. Qu'est-ce qui vous a amené à devenir si critique envers votre
religion d'origine ?
Déjà, je ne me considère ni comme musulman ni comme ancien musulman. Je suis
convaincu qu'un être humain ne devrait pas se définir, positivement ou
négativement, à travers une religion. Je suis critique envers l'islam, comme
envers toutes les religions en général. Ce qui m'a fait prendre conscience de
ça, c'est que j'ai grandi dans une société où on ne pouvait pas exprimer ses
pensées clairement. J'avais sans cesse une voix extérieure et une voix
intérieure, différentes, ce qui est courant quand vous êtes dans une communauté
religieuse où vous ne pouvez pas exprimer vos doutes. Or, je voulais être libre.
C'est pour ça que j'ai quitté l'Égypte pour venir en Allemagne.
Plusieurs personnalités musulmanes ont appelé à votre mort, dont un professeur
de l'estimée
université Al-Azhar au Caire. Votre vie est-elle en danger ?
Il y a ces fatwas, mais aussi des djihadistes qui veulent me supprimer. Je ne
peux pas dévoiler les détails, mais ma protection policière a été brusquement
augmentée. Quand je prends un avion par exemple, quelqu'un m'accompagne. J'ai
demandé ce qui s'est passé, et ils m'ont juste donné quelques éléments sur un
djihadiste allemand parti en Syrie et qui a évoqué mon nom à des djihadistes
ici. C'est évidemment effrayant, mais je n'ai pas arrêté de faire des discours
publics.
Dans Le Fascisme islamique, vous commencez par établir un parallèle entre
les mouvements fascistes et les Frères musulmans, fondés dans les années 1920
par Hassan el-Banna. Quels seraient selon vous leurs points communs ?
Ce n'est pas seulement les Frères musulmans, mais l'islam politique dans son
ensemble. Le premier point commun, c'est l'idée d'avoir été choisi, d'être des
gens qui sont supérieurs au reste de l'humanité. Vous pouvez lire ça dans le
Coran, où les musulmans sont considérés comme la meilleure communauté n'ayant
jamais existé. Allah leur donne une responsabilité particulière d'être ses
représentants sur terre. Vous avez ça aussi dans le fascisme : « Nous sommes la
race supérieure. » Deuxième point commun : la culture de la mort. Dans les deux
idéologies, la mort est glorifiée, car la vie et l'individu ne comptent pas. Ce
qui est important, c'est la nation ou la religion. Troisième parallèle : l'idée
de combat, le Kampf en allemand et le djihad en arabe. Vous ne
vous battez pas pour vivre, mais vous vivez pour vous battre. Le combat, en
lui-même est une fin en soi, et pas seulement un moyen pour atteindre des buts
politiques. Quatrième point commun : l'idée d'ennemis intérieurs et extérieurs.
Pour les nazis, l'ennemi à l'extérieur, c'est l'Ouest, et à l'intérieur, les
juifs et l'extrême gauche. Pour les islamistes, c'est les autres. Il y a d'abord
eu les juifs, les chrétiens ou les non-croyants dans le Coran, puis ont suivi
les croisés, les colonialistes et aujourd'hui l'Occident dans son ensemble.
L'histoire est conçue comme une seule ligne directrice, et l'ennemi reste
toujours le même. L'Occident sera toujours le mal, c'est immuable. Cinquième
point commun : la déshumanisation et l'animalisation de l'ennemi. Le Coran
qualifie les non-croyants de chiens, singes ou porcs. Si vous déshumanisez des
personnes, vous leur ôtez le droit d'exister. C'est ainsi plus facile de les
exterminer en masse sans problème de conscience. Ce que les nazis faisaient très
exactement en qualifiant les juifs de cafards ou de rats. Enfin, regardez les
buts de ces idéologies. Hitler voulait régner sur la planète entière, être « le
maître du monde ». Ces mêmes mots se retrouvent dans les discours d'Hassan
el-Banna.
Le monde musulman est aujourd'hui frappé par la violence. Mais l'histoire
coloniale ou la géopolitique n'expliquent-elles pas davantage ces fractures que
la nature même de l'islam ?
Bien sûr, si vous cherchez à comprendre les origines du terrorisme actuel, tout
ne vient pas du Coran. Il y a des raisons géopolitiques, et évidemment les
États-Unis et d'autres pays occidentaux ont une implication dans les guerres en
Irak et Syrie. Mais vous ne pouvez épargner la religion en disant qu'elle n'a
rien à voir avec cette violence. Pour en arriver au terrorisme, il faut d'abord
une culture favorable, c'est-à-dire qui accepte la violence comme solution
politique. C'est, je crois, ce qui se passe dans le monde islamique, car la
religion, loin de condamner cette violence, fournit des arguments en sa faveur.
Vous avez aussi une violence domestique, dans les familles. Quand un enfant
grandit et voit sa mère se faire frapper par son père, il apprend que la
violence est la première solution aux problèmes sociaux.
Vous avez confié que votre père battait votre mère, et que vous-même aviez subi
des violences enfant. Ne faites-vous pas de votre histoire personnelle une
généralité ?
Ce n'était pas un cas individuel, mais cela concernait toutes les familles que
je connaissais enfant. Ces violences conjugales ne sont pas une petite minorité.
C'est un vrai problème culturel, car le Coran encourage le mari à corriger sa
femme si elle n'obéit pas. La religion est un moteur dans la façon de concevoir
son couple ou d'éduquer les enfants. Son influence est considérable. Une autre
raison de la violence dans le monde musulman, c'est l'insécurité des jeunes
hommes dans notre époque moderne. D'un côté, on leur enseigne la certitude que
l'islam est la vraie religion, que vous ne pouvez pas faire ça car c'est haram et
que vous irez en enfer, sinon. Mais de leur côté, ils sont confrontés à la
société moderne, libre et multiculturelle. Il leur est difficile de ne pas
mordre dans le fruit défendu, mais après ça, ils se sentent coupables, et
retournent vers un discours religieux les ramenant en arrière : « Tu es un
pêcheur, reviens à Dieu. » La voie express, c'est le djihad. Mourir en tant que
martyr, c'est la seule garantie d'aller directement au paradis. Dites-moi
pourquoi un être humain voudrait se tuer tout en supprimant des dizaines de
personnes comme ce qui est arrivé à Nice ou à Orlando ?
Hamed Abdel-Samad : "L'islamisme est présent dans la naissance même de l'islam"
– (Suite)
Best-seller en Allemagne, son essai polémique "Le Fascisme islamique" ne
paraîtra pas en France. Entretien avec un penseur menacé de mort par les
islamistes.
PROPOS RECUEILLIS PAR THOMAS
MAHLER
Publié le 04/08/2016 à 12:12 | Le Point.fr
Dans "Le Fascime islamique", Hamed Abdel-Samad montre que la violence est
consubstantielle à l'islam, même s'il reconnaît que le Coran peut aussi être lu
dans sa dimension "éthique" et "spirituelle". © Anna Weise/ROPI-REA
Mais la culture occidentale a elle aussi ses tueurs de masse !
Oui, mais il y a des raisons psychologiques qui expliquent ces tueurs de masse.
Ce sont des profils qui ont été confrontés à la violence dans leur parcours. À
Munich, Ali
David Sonboly, le tueur germano-iranien, avait par exemple été la
victime d'humiliations à l'école. Mais on ne peut pas trouver ces explications
psychologiques chez tous les djihadistes. Ceux qui ont projeté le 11 septembre
2001 venaient souvent de familles riches, sans problèmes psychologiques
apparents. C'est l'endoctrinement idéologique, l'utopie dans leur tête qui les a
poussés à faire ça. Dans beaucoup de cas de tueurs de masse, le désespoir est la
cause du passage à l'acte. Alors que pour la majorité des terroristes
islamiques, c'est au contraire l'espoir d'atteindre quelque chose de supérieur.
Ils ne sont pas déprimés en commettant les tueries. Au contraire, ils sourient.
Ça fait une grande différence.
Quand vous présentez Mahomet comme un chef guerrier menant des purges et qui,
aujourd'hui, serait responsable de « crimes contre l'humanité », n'est-ce pas de
la provocation ?
Non, car ce sont des choses décrites dans les récits islamiques. Mahomet aurait
par exemple ordonné en un seul jour la décapitation de 400 à 900 juifs qui
s'étaient pourtant rendus. La violence appartient bien sûr à la culture de cette
époque. Mais aujourd'hui, s'il venait avec le même message, comme le fait
d'annoncer que si vous allez en enfer, votre peau sera brûlée et que vous aurez
une nouvelle peau pour sentir la même douleur à nouveau, on le qualifierait de
psychopathe et on ne le prendrait pas au sérieux. Or ce message est tellement
important aujourd'hui pour deux seules raisons : il est vieux d'un point de vue
historique et 1,5 milliard de gens y croient. Si l'islam n'était pratiqué que
par un petit groupe, on le considérerait comme une secte.
N'y a-t-il rien de bon pour vous dans une religion qui répond aussi à des
aspirations spirituelles ?
Je dissocie trois niveaux différents dans le Coran. Le premier, c'est l'aspect
documentaire qui décrit comment s'est développée une communauté autour de
Mahomet, avec notamment les guerres qu'il a menées. C'est un document historique
à inscrire dans un certain contexte, et auquel on ne peut plus se référer
aujourd'hui. Mais il y a deux autres niveaux qui peuvent continuer à inspirer
les croyants. L'un concerne l'éthique générale, comme les principes de justice
et de pardon, le fait de respecter les animaux et la nature en ne détruisant pas
une création parfaite, la quête de la connaissance... Et l'autre concerne la
dimension spirituelle. Il y a des passages merveilleux et poétiques dans le
Coran qui vous touchent. C'est l'une des facettes de Mahomet, qui a vécu une
expérience spirituelle forte, méditant sur l'univers et les merveilles de Dieu.
Mais il y a aussi chez lui une dimension sociale et politique, qui elle peut
être très dangereuse si on l'use politiquement aujourd'hui. Je ne dis donc pas
qu'il faut tout jeter dans le Coran. Mon prochain essai, qui sera publié en
Allemagne en octobre, s'intitule d'ailleurs Coran : le message d'amour, le
message de haine. Je montre l'ambivalence de ce livre. Mais si des gens
croient que le Prophète est un modèle absolu à suivre, ça débouche sur des
choses effrayantes comme Daech.
Consulter notre dossier « L'islam
selon Tareq Oubrou »
N'est-ce pas historiquement absurde d'établir des parallèles entre une religion
apparue au VIIe siècle dans la péninsule arabique et le nazisme, une idéologie
athée du XXe siècle née en Occident ?
C'est une question que je me suis posée durant toute l'écriture du livre. Mais
l'islam n'est pas qu'une religion, c'est aussi une idéologie politique. Dès les
origines, quand Mahomet se rend à Médine, elle est par nature une religion
politique, car il n'était pas juste un prophète ou prédicateur, mais aussi un
homme d'État, général d'armée, ministre des Finances, juge et policier. D'autre
part, le fascisme n'est pas qu'un mouvement politique, mais c'est aussi une
religion civile, avec un leader infaillible qui a accès à une vérité et qu'on
n'a pas le droit de questionner.
Si on adopte un point de vue farouchement athée, toutes les religions – et
surtout les monothéismes – peuvent être perçues comme ayant une dimension
totalitaire. Ce n'est pas une exclusivité de l'islam...
Bien sûr. Les religions polythéistes, du fait de la diversité des dieux, sont
moins enclines à ça. Il y a une place pour la négociation. Pour les naissances,
vous vous adressez au dieu de la fertilité, en cas de décès au dieu de la
mort... Vous n'êtes pas sous un contrôle unique. Mais les monothéismes, avec un
Dieu jaloux, ont par essence quelque chose de totalitaire. Prenez l'épisode du
sacrifice d'Abraham. Vous avez un père qui doit tuer son fils. Il faut obéir à
une loi, en ignorant tout rationalisme ou dimension humaniste. Si le leader
dit : « tue », vous obéissez... Les théologiens juifs et chrétiens ont par la
suite transformé cette histoire en expliquant qu'il ne faut plus tuer d'êtres
humains pour plaire à Dieu. Mais dans le Coran, c'est une preuve que si Dieu
vous donne un ordre, vous l'exécutez. C'est un argument-clé des martyrs, pour
qui il ne faut pas se soucier du sang versé, car Dieu sait ce qui est le
meilleur pour vous.
Pour vous, il est artificiel de séparer islam et islamisme. Pourquoi ?
J'ai d'abord pensé qu'il était juste de dire que l'islam et l'islamisme sont
deux choses bien distinctes. Mais j'en suis arrivé à la conclusion que ce n'est
pas rendre service aux musulmans. Il s'est passé la même chose avec le
communisme, quand on expliquait que la théorie marxiste est bonne, et que c'est
simplement la pratique stalinienne qui était mauvaise. En faisant cela, on ne
critique jamais le fond des choses. Qu'est-ce que l'islamisme ? C'est la volonté
de contrôler le monde. D'où cela vient-il ? Du Coran et de la pratique du
Prophète. Il veut faire de l'islam une religion universelle, quitte à utiliser
la violence. L'invention de l'islamisme est dans la naissance même de l'islam.
Les frontières entre les deux sont très floues.
Mais la majorité des musulmans vivent pacifiquement !
Bien sûr. C'est pour ça qu'il faut distinguer l'islam comme idéologie et les
musulmans en tant qu'êtres humains. La majorité d'entre eux ne connaissent pas
le Coran dans son intégralité. Et la majorité des croyants ne transposent pas
tout ce qu'ils ont lu dans le Coran dans leur vie de tous les jours. Une victime
yézidie d'un des commandants de Daech a raconté qu'il lui a dit qu'en la
violant, il se rapprochait de Dieu. Qui sur terre sortirait une telle horreur
s'il n'avait pas lu des textes expliquant que Dieu offre les femmes et les
esclaves comme un présent ? Seules les religions peuvent vous convaincre que
vous faites le bien en commettant des actes monstrueux. Heureusement, les
croyants tirent de la religion des aspects qui leur ressemblent. Les musulmans
pacifiques retiennent du Coran les passages pacifiques, tout comme les
djihadistes citent les passages les plus guerriers. Chacun y trouve ce qui
renforce son identité.
En politique, vous ne croyez pas aux « islamistes modérés », comme on a un temps
pu présenter Erdogan. L'islam ne serait-il pas compatible avec la démocratie ?
Non, tout comme le christianisme ou le judaïsme. Si ces religions détiennent le
pouvoir, elles ne sont pas compatibles avec la démocratie. D'abord parce que
Dieu est le législateur, et non pas les humains, car il en sait plus que nous.
Deuxièmement, parce que la démocratie suppose l'égalité entre tous les humains.
Dans l'islam, il y a les humains en première classe – les musulmans –, d'autres
en seconde classe – les juifs et les chrétiens –, et puis les non-croyants, qui
n'ont aucune place. Enfin, la démocratie suppose une autonomie de l'individu, de
son esprit comme de son corps. L'islam intervient jusque dans les domaines les
plus intimes, et me dit quand je peux faire l'amour et avec qui. C'est pour ça
que les États islamiques ont tant de problèmes avec les droits de l'homme. Mais,
et je me répète, cela ne signifie bien sûr pas que les musulmans en tant que
personnes ne peuvent pas être démocrates. Beaucoup sont profondément démocrates,
mais ils ne tirent pas cela de la loi islamique, mais de leur expérience
personnelle. En démocratie, les religions peuvent être représentées par des
groupes d'influence au même niveau que les autres lobbys, mais elles ne peuvent
pas être au-dessus des autres et détenir le pouvoir. Prenez le Vatican, on ne
peut pas appeler ça une démocratie (rires). J'adore le pape François, mais il
reste un dictateur.
Vous votez SPD, mais vous vous êtes plusieurs fois exprimé dans des meetings du
parti populiste AFD (Alternative pour l'Allemagne). Ne jouez-vous pas le jeu de
l'extrême droite ?
J'ai été invité par tous les partis : SPD, CDU, Verts, libéraux... Je m'exprime
librement. Et à quoi sert la démocratie si ce n'est de discuter avec des gens
qui ne sont pas d'accord avec vous ? Quand j'ai parlé devant l'AFD à Berlin et à
Munich, c'était à un moment de polarisation importante autour des migrants.
Autour, il y avait des manifestations antifascistes. J'ai dit que ces clivages
étaient un poison, et qu'il fallait prouver que nous sommes toujours une
démocratie dans laquelle on peut discuter sereinement. Nous avons besoin d'un
débat sérieux sur l'islam, mais nous devons aussi épargner les réfugiés, qui ne
peuvent pas se défendre. Parlons de politique, mais ne laissons pas la colère
nous emporter contre ces musulmans. Nous avons besoin d'eux si nous voulons
vaincre le terrorisme et devenir une vraie société multiculturelle.
Dans le livre, vous êtes très critique envers Thilo Sarrazin, figure de proue en
Allemagne des positions contre l'immigration musulmane.
Parce qu'il stigmatise ces gens et ne croit pas en leur potentiel. Pour
l'extrême droite, l'islam comme idéologie et les musulmans comme personnes
humaines sont la même chose. Mais non !
L'Allemagne a elle aussi été touchée en juillet par
le terrorisme. Cela marquera-t-il un tournant similaire aux
agressions sexuelles de Cologne, qui ont traumatisé l'opinion dans
votre pays ?
Cologne a mis fin à une période d'optimisme. Les Allemands avaient fait un
accueil chaleureux aux migrants, les attendant dans les gares avec fleurs et
ours en peluche. Il y avait un sentiment joyeux. Mais Cologne a mis un terme à
ça, car personne ne pensait qu'une intimidation de masse comme ça envers des
femmes pouvait arriver en Allemagne. Maintenant, après le terrorisme en juillet,
on se demande s'il faut s'habituer à des attentats tous les jours dans les
médias. Entre le 11 Septembre et les attentats de Madrid ou Londres, il y avait
plusieurs années. Mais depuis le Bataclan, le rythme s'est accéléré. Les gens se
disent qu'il doit y avoir une corrélation entre la présence des musulmans dans
notre société et ce terrorisme, car il n'y a pas d'attaques dans un pays
comme... (il hésite)... disons l'Islande. La société n'est pas prête à digérer
ça d'une manière sereine. N'oubliez pas que l'Allemagne est une démocratie
récente, en comparaison avec vous. En France, avec votre Révolution et votre
Marseillaise, vous avez toujours une mystique nationale à offrir aux immigrés.
En Allemagne, la démocratie est née d'une catastrophe, le nazisme. Quelle
identité peut regrouper tous ces gens ensemble ? Les Allemands se sentent
fébriles face à ça, les Turcs émigrés en Allemagne votent en majorité pour
Erdogan en dépit de toutes ses violations démocratiques, et les réfugiés sont
venus ici avec des illusions – une belle maison, un travail –, mais ils se
retrouvent dans des cagibis et n'ont guère de perspective de devenir des membres
de cette société. Tout cela va créer des tensions. Le débat politique devient
très nerveux. Mais j'espère montrer qu'on peut parler de ces choses sans avoir
peur. On peut battre l'extrême droite comme l'islamisme si nous croyons
profondément en notre démocratie.
« Le futur appartient au multiculturalisme et à la flexibilité », écrivez-vous
dans le livre. « Ceux qui pratiquent l'hygiène identitaire et érigent des
remparts autour de leur culture ou de leur religion ont perdu la partie depuis
longtemps. » Vous restez donc optimiste ?
La démocratie ne peut jamais être détruite de l'extérieur. Ce n'est que de
l'intérieur, quand les gens abandonnent leurs principes ou deviennent
indifférents, qu'elle peut s'écrouler. Battons-nous pour nos valeurs, et nous
gagnerons contre les extrémistes – nationalistes comme islamistes –, car nous
avons le meilleur modèle, qui fascine bien plus de gens à travers le monde que
l'islamisme. Mais si nous permettons aux terroristes de nous intimider, et si
nous les laissons censurer notre imagination artistique ou nos livres par peur
de heurter des sensibilités religieuses, nous allons perdre. Ce qui m'effraie le
plus, c'est la peur qui paralyse ou qui rend violent. N'opposons ainsi pas la
haine à la haine en suivant la logique primitive des extrémistes. Mais je
continue à croire dans le bon sens et l'esprit de ce continent. Nous avons
atteint le meilleur niveau de vie de toute l'histoire humaine. C'est un fait, ce
n'est pas une utopie, concept qui a toujours débouché sur des catastrophes.
L'Europe n'est pas parfaite, mais c'est un projet collectif sur lequel il faut
travailler tous les jours !