Assassinat de Samuel Paty : "C'est le
moment d'en finir avec la 'gauche collaborationniste"
Tribune
Par Manuel Boucher
Publié le 19/10/2020

"Ces attentats soulignent
également les limites de la mobilisation des milliers de Français qui étaient
descendus dans la rue les 10 et 11 janvier 2015 pour proclamer "Je suis
Charlie" en ne cédant pas à la peur imposée par les terroristes
islamistes."
© BERTRAND GUAY / AFP
Manuel Boucher, professeur de
sociologie à l’université de Perpignan Via Domitia,
estime que la gauche doit impérativement prendre ses distances avec certains
courants communautaristes et racialistes comme le PIR ou le CCIF.
À
l’ouverture du "procès Charlie", pour rendre hommage à leurs camarades
journalistes et dessinateurs assassinés (12 morts) le 7 janvier 2015 par des
jeunes djihadistes français, pour les punir d’avoir publié les caricatures du
prophète Mahomet, les survivants décident de republier ces caricatures ce qui
entraîne immédiatement des réactions de haine. Al-Qaida dans la péninsule
arabique (AQPA) exhorte à passer à l’acte tandis que des manifestations
appelant à la vengeance sont organisées au Pakistan.Dans
ce climat d’appel au meurtre, deux attentats à l’arme blanche sont perpétrés à
quelques jours d’intervalle par deux hommes décidés, de nouveau, à venger le
prophète : le premier se produit le 25 septembre par un jeune se
présentant comme ressortissant pakistanais né à
Islamabad. Il attaque au hachoir deux journalistes rue Nicolas-Appert (dernière adresse
connue de Charlie Hebdo) dans le 11ème arrondissement de Paris.
Le second attentat, particulièrement ignoble et insoutenable, se déroule le 16 octobre à Conflans-Saint-Honorine
(Yvelines). Un jeune de 18 ans né à Moscou d’origine tchétchène et vivant à
Evreux décapite en pleine rue un professeur d’histoire parce que celui-ci avait
montré les caricatures de Mahomet publiées par Charlie Hebdo lors
d’un cours sur la liberté d’expression.
UNE
"GAUCHE COLLABORATIONNISTE"
Cinq
ans après l’attentat contre Charlie Hebdo qui avait produit un
choc national, cet acharnement contre ce journal satirique et laïque et ceux
qui, courageusement, refusent de "canceliser"
ce journal pour défendre la liberté d’expression, révèle, dramatiquement, que
sous le feu des kalachnikovs qui ont abattu froidement l’équipe de Charlie, il
existe donc encore des braises incandescentes. Ces attentats soulignent
également les limites de la mobilisation des milliers de Français qui étaient
descendus dans la rue les 10 et 11 janvier 2015 pour proclamer "Je suis
Charlie" en ne cédant pas à la peur imposée par les terroristes
islamistes.Il
est vrai que malgré une condamnation de convenance contre l’attaque meurtrière
à Charlie Hebdo, une partie de la population soutenue par une
partie de la gauche, avait défendu mollement le droit au blasphème pratiqué
par Charlie Hebdo ou même affirmé "Je ne suis pas
Charlie", au nom de la lutte contre l’"islamophobie". Les
attentats survenus cet automne interrogent alors la stratégie, voire la
responsabilité d’une partie de la gauche qui n’a pas voulu ou assez soutenu le
combat de Charlie Hebdo contre le fascisme islamiste."Il
existe bel et bien une responsabilité de personnalités de gauche."En
effet, par aveuglement, naïveté, stratégie électorale et politicienne, une
"gauche collaborationniste" dénoncée par Riss (caricaturiste et
directeur de publication de Charlie Hebdo) et Fabrice Nicolino (journaliste dans ce même journal) lors du procès
de l’attentat meurtrier contre Charlie Hebdo s’associe à des
néo-réactionnaires racialistes, anti-humanistes et
islamistes développant les thèses contre-révolutionnaires des anti-Lumières.
Lors du procès de l’attentat contre Charlie Hebdo, Riss et Fabrice Nicolino, rappellent, en effet, qu’en 2011 déjà, les identitaristes décoloniaux
avaient signé une pétition contre Charlie qu’ils accusaient de
"provocation islamophobe" alors que ses locaux avaient été détruits
par un incendie criminel.
Dès lors, pour ces deux rescapés de l’attentat,
celui-ci s’est produit sur ce "substrat".Fabrice
Nicolino dit ainsi qu’il en veut à ceux qui ont
préparé le terrain de la violence en entretenant "ce petit bruit
que Charlie était un journal raciste, car islamophobe". Lors du procès rapporté par Le Monde Fabrice Nicolino "dénonce
ʺl’aveuglementʺ, la ʺpure stupidité ʺ de ʺceux qui ont
refusé de voir l’évidenceʺ, et qu’il range aux côtés de ʺceux qui
n’ont pas compris la nature du fascisme dans l’entre-deux-guerresʺ.Des gens ont conchié Charlie. Ils ont
préféré colporter la calomnie. Certes, ils ne sont pas responsables directs de
ce qui s’est passé le 7 janvier. Mais ils ont participé à la préparation
psychologique de cette affaire. Ils ont donné un quitus aux gens qui vont venir
nous tuer après. Jamais, jamais, jamais, on ne leur pardonnera."Une
partie de la gauche continue pourtant de collaborer avec des organisations et
leurs leaders affirmant, à l’instar du Collectif contre l’islamophobie en
France (CCIF) ou du Parti des indigènes de la République (PIR), toujours ne pas
être Charlie.
Le 10 novembre 2019, lors de la manifestation contre
l’islamophobie à Paris, tombant dans le piège islamo-frériste,
en marchant avec et derrière les islamistes et décoloniaux,
des personnalités de gauche ont ainsi fait une erreur politique majeure.Malgré
des tentatives d’explications et de justifications, il existe bel et bien une
responsabilité de personnalités de gauche issues du Nouveau parti
anticapitaliste (NPA), de La France insoumise (LFI), des Verts, du Parti
communiste français (PCF) d’avoir accepté de manifester non pas simplement avec
(comme ils le justifient en soulignant qu’ils ont également manifesté pour
Charlie et contre l’antisémitisme alors que des dictateurs ou des organisations
radicales juives manifestaient également) mais bien derrière des organisations
politico-religieuses et identitaristes qui utilisent
la lutte contre l’"islamophobie" pour légitimer des idées
communautaristes et racialistes au sein de l’espace antiraciste.UN RÉVEIL À
GAUCHE
Les
derniers attentats doivent produire une rupture au sein de la gauche. Il est
temps que toute la gauche prenne conscience que souscrire aux thèses
victimaires et complotistes mobilisées par les islamistes et indigénistes
participe à la décomposition du modèle universaliste laïque républicain qui,
dans la pratique, au-delà de ce discours abstrait, doit être défendu et
amélioré pour qu’il soit concrètement mis en œuvre (lutte contre les
discriminations et le racisme, réduction des inégalités et des injustices
sociales et territoriales, baisse des écarts de revenus entre les plus riches
et les plus pauvres, développement de la promotion sociale) afin qu’il garde
toute sa crédibilité aux yeux de tous ceux qui vivent sur le sol national,
au-delà des origines.Il
est temps que toute la gauche se rappelle que son combat historique pour la
liberté s’inscrit dans une lutte pour l’émancipation et contre toutes les
formes de domination et d’oppression, y compris religieuses. Cela signifie que
la gauche, non seulement ne peut pas s’allier aux organisations
politico-religieuses qui prétendent lutter contre l’«
islamophobie » mais qu’elle doit les combattre au quotidien, partout où elles
agissent (dans les quartiers, à l’école, à l’université, dans les associations,
les mouvements antiracistes, les organisations politiques et syndicales, la
fonction publique…).À
la fin du XIXème et au début du XXème siècle,
alors qu’une grande partie du peuple, et même de la classe ouvrière, était sous
la forte influence des idéologies superstitieuses et réactionnaires des
ecclésiastiques et des activistes catholiques, la gauche anticléricale, au nom
de la raison et de la liberté de conscience, n’a pas hésité à défendre, par
l’éducation populaire notamment, un contre modèle émancipateur. Dès lors,
aujourd’hui, lorsqu’une partie de la gauche, assimilant trop rapidement la
religion musulmane à la religion des "damnés de la terre", ne combat
pas l’emprise religieuse musulmane conservatrice et moraliste exercée sur une
partie des habitants des quartiers populaires, celle-ci fait preuve d’une
lâcheté paternaliste et néocolonialiste.Ne
perdons pas l’espoir d’une prise de conscience collectiveIl
est donc temps que toute la gauche se rende compte qu’au sein de la France
multiculturelle et de plus en plus souvent multiraciste,
le fascisme est une hydre à deux têtes qui s’alimentent mutuellement. En effet,
de la même manière, les "identitaires nationalistes" et les "identitaristes islamistes" sont des mixophobes ethno-différencialistes qui prônent un
"choc des civilisations". Par conséquent, combattre le racisme des
ethno-nationalistes voyant l’immigration comme une invasion et la diversité
culturelle comme une arme au service du "Grand remplacement" en
Occident nécessite de ne pas nier l’existence d’un fascisme islamiste dans la
société française sous prétexte que dénoncer le "séparatisme"
servirait la ruse des gouvernants cherchant à masquer les inégalités sociales
grandissantes et à diviser le peuple.En
définitive, au-delà des calculs clientélistes et électoralistes, la gauche doit
désormais avoir le courage de combattre les logiques fascistes sur au moins
deux fronts : celui de l’ethno-nationalisme et de l’ethno-communautarisme
politico-religieux. Cette exigence nécessite un sursaut de toute la gauche qui
ne s’est pas encore réveillée. Pour autant, ne perdons pas l’espoir d’une prise
de conscience collective.