« Le terrorisme n'est que la partie émergée de l'iceberg
politico-religieux islamiste » (Renée Fregosi,
22.06.2017)
Par Renée Fregosi Publié le 22/06/2017 à 12:16
FIGAROVOX/TRIBUNE - Malgré les attentats de Londres et de Paris, les
responsables politiques ne lient toujours pas le terrorisme au fondamentalisme
islamique. Dans sa tribune, Renée Fregosi prend
position et dénonce ce silence qui participe à l'affaiblissement de l'autorité
de l'État.
Renée Fregosi est une philosophe et
politologue française. Directrice de recherche en Science politique à
l'Université Paris-Sorbonne-Nouvelle, elle a récemment publié Les nouveaux
autoritaires. Justiciers, censeurs et autocrates (éd. du
Moment 2016).
Laisser au Front national la défense de la laïcité et la dénonciation de
l'islamisme, c'est faire doublement le jeu du totalitarisme islamiste.
Les attentats se succèdent. Plus ou moins meurtriers, certains
spectaculairement ou plus discrètement déjoués, mais leur qualification
d'islamiste reste insignifiante. Au lendemain de l'attentat islamiste de
Londres le 3 juin dernier, excepté Marine Le Pen, le silence des responsables
politiques sur la nature de ce «terrorisme» était
assourdissant. Seuls Jean-Yves Le Drian en France osa qualifier de «djihadiste» l'attentat terroriste, et Denis McShane en Angleterre (ancien ministre de Tony Blair
aujourd'hui marginalisé au sein de son parti), appela sans détour à lutter
contre le totalitarisme islamiste. Après les attentats de Charlie, de l'Hypercacher puis du Bataclan, la nécessité de «nommer l'ennemi» avait gagné des partisans dans le monde
politique démocratique, mais cette stratégie semble aujourd'hui au point mort,
avec notamment l'effacement de Manuel Valls du devant de la scène politique.
Or, laisser au Front national la défense de la laïcité et la dénonciation de
l'islamisme, c'est faire doublement le jeu du totalitarisme islamiste. Parce
que le laïcisme du Front national n'est pas la lutte laïque pour l'émancipation
des individus et les principes républicains, et qu'il cache mal sa xénophobie
foncière et sa dimension autoritaire.
La guerre au «terrorisme» est certes déclarée,
mais en se refusant à le qualifier, à le définir on s'interdit d'en saisir la
logique dans sa globalité. S'il s'agissait de terrorisme «en
général», de phénomènes de «radicalisation» quelconques, de «violence aveugle»,
voire de simples actes de «déséquilibrés», des mesures techniques de plus ou
moins grande envergure devraient pouvoir en venir à bout. Reconduction de
l'État d'urgence, aménagement de l'État de droit, et bricolage des dispositifs
individuels de «dé-radicalisation». Si les attentats étaient le seul produit
d'agents extérieurs, les guerres menées contre les groupes islamistes en
Afrique et au Moyen-Orient pourraient en venir à bout ou du moins réduire
considérablement leur capacité de nuisance. Mais l'ennemi est tout autant à
l'extérieur qu'à l'intérieur. En agissant ainsi a posteriori, on ne s'attaque
en rien au «vivier» des milliers de «fichés S» ou
susceptible de l'être, sans cesse alimenté par de nouvelles recrues pouvant
«passer à l'acte» à un moment indéterminable, et nos sociétés continuent à être
travaillées par des conflits culturels et civilisationnels destructeurs.
Car le terrorisme n'est que la partie émergée de l'iceberg
politico-religieux qui plonge ses racines à la fois dans l'expansion de
l'intégrisme musulman à travers le monde, et dans nos sociétés occidentales
désarmées face à la question religieuse et déstructurée socialement par les
inégalités et les défauts d'intégration d'une immigration non maîtrisée. Que
tous les Musulmans ne soient pas des terroristes ne signifie pas pour autant
que l'islam n'a «rien à voir» avec l'islamisme. La
matrice idéologique politico-religieuse se fonde dans la religion musulmane,
ses textes sacralisés, ses préceptes de séparation des sexes et de haine des
femmes et des homosexuels, ses exhortations aux croyants à se dissocier,
jusqu'au meurtre, de leurs «chiens» d'ennemis, les
«mécréants», les «impies», les Juifs, les apostats. Et c'est pourquoi il est si
facile aux militants islamistes de créer une solidarité entre eux-mêmes et la «communauté» musulmane qu'ils contribuent en grande part à
consolider.
Comme le révolutionnaire préconisé par Mao, l'islamiste est «au sein du
peuple comme un poisson dans l'eau». Ainsi se diffuse
la doctrine fondamentaliste et le militant islamiste est protégé bien au-delà
de son cercle restreint par des liens de solidarité communautaire. «L'amalgame» tant dénoncé entre Arabes, Maghrébins,
musulmans et islamistes est conçu par les islamistes eux-mêmes pour souder et
s'aliéner ces populations, certes partiellement discriminées, exclues et
stigmatisées mais dont la situation objective est amplifiée pour y développer
un fort sentiment de victimisation favorable au rejet du cadre national. Il n'est
donc pas seulement scandaleux du point de vue intellectuel mais criminel du
point de vue politique de refuser d'évaluer et d'analyser pour les combattre,
les mentalités entretenues dans les milieux arabo-musulmans et au-delà, comme
ont pu le faire récemment certains universitaires à propos des enquêtes de Fondapol/Fondation Jean-Jaurès et celles d'IPSOS/Fondation
du judaïsme, sur le racisme et l'antisémitisme. Sont tout aussi scandaleux et
inquiétants, la déprogrammation d'une émission comme le documentaire d'Arte sur
l'antisémitisme en Europe et les procès intentés dans l'indifférence quasi
générale à Georges Bensoussan.
Prôner une «laïcité ouverte» contre les tenants
du combat laïque n'a aidé en rien à l'entrée de la religion musulmane dans les
cadres de la société laïque française, pas plus que l'option communautariste
assumée en Belgique ou en Grande Bretagne n'a permis d'éviter la
«radicalisation» musulmane au sein des populations nationales de ces pays. La
stratégie de la complaisance à l'égard des idéologues comme Tariq Ramadan et
des pratiques dites «traditionnelles» (port du voile,
tabous alimentaire, séparation des sexes dans les espaces publics, mariages
arrangés…), loin d'apaiser les esprits et la vie collective, renforce l'emprise
islamiste et l'antagonisme entre différents groupes sociaux. Le
multiculturalisme n'est pas le remède aux pensées de l'orthodoxie, et les
accommodements avec les exigences religieuses et communautaristes sont
déraisonnables. La revendication à l'autonomie des individus a été dévoyée en
droit de choisir y compris sa propre soumission, l'État renonçant à trancher
entre des libertés individuelles contradictoires. La
«tolérance» de l'intolérable érigée en valeur suprême s'oppose
radicalement au principe de la libre-pensée, et affaiblit la République dans
son pouvoir d'instaurer et de maintenir un cadre commun. C'est aussi sur ces
renoncements persistants que l'islamisme ne cesse de progresser malgré certains
reculs sur le terrain militaire.
Certes, les liens tant logistiques qu'idéologiques sont complexes et
difficiles à démêler. L'islamisme tire sa force à la fois d'une sociologie de
proximité voire de promiscuité (au sein de la famille, du quartier, de la
bande, du réseau mafieux) qu'elle va irriguer, et d'une vacuité de sens qu'elle
vient combler par sa projection eschatologique. Et pour compliquer la lecture,
des oppositions parfois violentes divisent le monde musulman entre sunnites et
chiites, mais aussi entre familles sunnites et entre différents intérêts
nationaux économiques et géopolitiques, et rivalités historiques ou claniques
(ainsi le conflit récent au sein des émirats du Golfe). Mais, des frères
musulmans à la république des mollahs iraniens, du wahhabisme saoudien aux
régimes autoritaires d'Algérie ou d'Égypte qui jouent avec la religion comme
variable d'ajustement et enjeux tactiques, c'est la même approche
communautariste et anti-occidentale qui est à l'œuvre.
Alors, se défiant des calculs irresponsables à courte vue comme des
sentiments de culpabilité hors d'âge, les progressistes au pouvoir en France,
doivent impérativement sortir de leur déni de la réalité pour mener au fond, le
combat contre le totalitarisme islamiste sous toutes ses formes.
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succès de l'islamo-gauchisme
La menace islamiste qui se renforce depuis des
décennies est sans doute l'un des principaux défis de l'époque. Les États pris
dans des enjeux géopolitiques complexes et les intellectuels tiraillés par des
motivations diverses restent divisés et trop souvent indécis sur les mesures à
prendre. Toutefois, parallèlement aux dispositifs policiers et militaires, une
riposte idéologique prend forme : polymorphe, contradictoire, ambivalente. Cet
ouvrage y prend sa part, redéfinissant le combat laïque comme celui de la libre
pensée et de la liberté des mœurs.
Mais les formes nouvelles ou renouvelées
d'autoritarisme sont multiples : violent ou sournois, brutal ou diffus,
institutionnel ou informel, individuel ou collectif tendent à envahir l'espace
politique et social en concurrençant, en s'adaptant ou même en s'articulant à
des processus opposés d'autonomisation et de solidarisation promus également
par la mondialisation et les nouvelles technologies. À la fois auto référencées et en appelant à des valeurs
transcendantes, ces manifestations tendent à imposer autoritairement leur loi
simpliste : face à l'injustice prétendument faite au peuple, s'abat le juste
châtiment des coupables par les justiciers autoproclamés, voix du peuple ou de
dieu, ce qui revient au même en somme.
Ce sont les caractéristiques de ces figures
autoritaires et leurs liens souvent cachés qui seront exposés ici. Justiciers
populistes et islamistes, antisémites camouflés en antisionistes, autocrates se
prétendant démocrates, féministes puritaines, gauche radiale jouant les idiots
utiles de ces nouveaux autoritaires. Les logiques et les stratégies seront
analysées, les défis pour leurs adversaires y seront définis.