Être chrétien en Algérie est un combat
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Jeudi 3 septembre 2020
Il faut vraiment avoir un caractère irréductible
soutenue d'une foi chevillée, de la persévérance et de la patience pour
avoir une vie de chrétien en Algérie.
L'un des principes des droits de
l'homme à savoir la liberté d'exercice du culte est bafoué par le tribunal
administratif Tizi-Ouzou, le 27 août passé. Sans faire preuve de déférence, la
justice algérienne a débouté la communauté chrétienne en lui refusant d'ouvrir
ses églises, situées à Tizi-Ouzou et ses environs, fermées depuis presque
un an sur une décision d'un administrateur local notamment le wali.
C’est confrontés
à ces inqualifiables difficultés qu’ils doivent continuer à pratiquer leur
religion. Malheureusement, ils ne peuvent s’exciper du fait qu’ils soient tenus
de montrer patte blanche.
Il y a trop d'abus dans cette
décision qui a soulevé l'ire et l'indignation des fidèles des églises
protestantes de la région. C'est d'usage courant de voir ces pratiquants
harcelés et persécutés par les autorités politiques et les différents courants
religieux islamistes.
L'absence de tolérance et de la
liberté de culte sont un problème sociétal dans une nation où la religion
musulmane est inscrite dans la constitution comme exclusive. Pratiquer sa foi
autre que celle proposée par l'État est un acte soumis à un contrôle.
C'est-à-dire, il y a une série de conditions auxquelles des individus doivent
invraisemblablement se soumettre, et le plus grave, ils doivent s'identifier
comme tels. Alors que pratiquer sa foi est une affaire strictement privée,
exhiber obligatoirement ses croyances est une atteinte à la liberté
individuelle.
De toute évidence, avoir recours
à ce genre de procédés pour étouffer un Algérien de vivre librement sa
spiritualité est un moyen de contrôler la société qui aspire à vivre dans la
dignité. Un état de fait qui doit être inséparable avec les autres libertés
intrinsèques.
Pourquoi les pays dits de
l'Occident offrent cette liberté alors que chez nous est, il devenu un sujet
auquel les hautes autorités de l'État doivent se mêler ? La question, avant
qu’elle soit paradoxale, elle est politique. C’est une façon de manipuler
l’opinion à d’autres objectifs.
Doit-on faire un peu d’exercice
sur l’Histoire de la révolution algérienne pour rappeler à ces administrateurs
implacables que les chrétiens comme Henri Maillot, Maurice Audin
et le juif Fernand Iveton ont été sacrifiés par la
France coloniale pour que l'Algérie soit indépendante ?
Pour ne pas oublier l'histoire de
Slimane Bouhafs, ce citoyen originaire de Sétif qui a
eu des démêlés avec la justice pour une simple raison : avoir affiché sa
chrétienté et critiqué la religion musulmane. Il fut condamné à 5 ans de prison
en juillet 2016. Après avoir purgé 20 mois, il fut libéré sous la pression
médiatique et la solidarité citoyenne. Ensuite il a été obligé de s'exiler en
Tunisie avec l’objectif de fuir en Europe afin de s'éloigner du danger qui le
guette tous les jours.
Quelques années auparavant, en
mai 2008, on se souvient tous d'une certaine K. Habiba, une fille de Tiaret de
confession chrétienne qui fut arrêtée par la gendarmerie et jugée pour trois
ans par un tribunal correctionnel pour le fait d'avoir en sa possession la
Bible. Elle fut accusée de pratiquer un culte non musulman sans autorisation.
Avec un procureur de la République de sa ville qui la narguait avec des
questions : « c'est soit le tribunal, c'est soit la mosquée »; « à l'église on t'a fait passer l'examen d'admission
céleste? »; « On t'a fait boire l'eau qui t'amènera directement au
paradis? », etc.
Un autre fait inquiétant qui
devient récurent pendant la période du jeûne, la police procède à des
arrestations arbitraires contre ceux qui mangent en public. Et les avocats
n’ont pas de peine à les protéger devant les juges, car il n’y a aucune loi qui
interdit un Algérien de manger.
Le mariage avec une étrangère ou
un étranger est régi par une loi les obligeant ces derniers à devenir musulmane
ou musulman pour qu'il puisse légaliser l'union avec une Algérienne ou un
Algérien.
Ces injonctions et ses décisions
arbitraires sont des atteintes directes à la liberté, aux droits de l’homme et
à la démocratie.
Bien que, un texte de loi existe
pour assurer à n'importe quel religieux de n'importe quelle confession de
pratiquer sa foi en toute liberté.
« Art. 42.1 — La
liberté de conscience et la liberté d'opinion sont inviolables.
La liberté d'exercice du culte est garantie dans le respect de la loi. »
(1)
Donc, le refus de donner
l'autorisation par les autorités locales aux fidèles de l'église protestante de
Tizi-Ouzou de mener leurs services religieux est contrevenant à la loi. Leurs
lieux de culte habituels les ont scellés dans la foulée de la révolution
citoyenne, alors qu'ils étaient ouverts depuis 1996.
Le paradoxe, l'Algérie a confirmé
son adhésion à la Déclaration universelle des droits de l'homme depuis
septembre 1963 ou on peut lire deux articles qui protègent l'individu sur la
façon de mener sa foi (2).
« Article 18
Toute personne a droit à la liberté́ de pensée, de conscience et de
religion ; ce droit implique la liberté de
changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté́ de manifester
sa religion ou sa conviction, seule ou en commun, tant en public qu'en
privé, par l'enseignement, les pratiques, le culte et l'accomplissement
des rites. »
En outre, les conventions
internationales relatives aux droits de l'homme sont ratifiées par l'Algérie,
et elle est membre fondateur du Conseil des droits de l’homme à travers sa
mission permanente à Genève.
Sur le terrain, on constate que
les engagements de l’Algérie en la matière ne se traduisent pas sur ces
citoyens, elle les renie d’une façon impérieuse.
Finalement, c’est l’absence de la
pratique démocratique qui a engendré toutes ces contradictions et ses atteintes
aux droits de l’homme.
Parler aujourd’hui des préalables
démocratiques est une nécessité afin de libérer la vie publique de l’emprise
d’un pouvoir qui refuse obstinément de comprendre que la société algérienne est
engagée d’une manière irréversible à changer le cours de l’Histoire.
Pour construire un État de droit,
il faut penser inévitablement au respect des minorités, la liberté de
culte et l'égalité des sexes. Ce dont nous sommes bien loin.
(Révision constitutionnelle du 6
mars 2016)
1.
Déclaration universelle des
droits de l’homme adoptée et proclamée par l’assemblée générale dans sa
résolution 217 A (III) du 10 décembre 1948. Adhésion de l’Algérie par l’article
11 de la constitution de 1963. Parution dans le journal officiel (JORA) le
10 septembre 1963. ( ww.joradp.dz/HFR/Consti.htm )
Mahfoudh Messaoudene
Algérie :
« Être chrétien, c'est un combat quotidien »
Depuis
1998, Mahmoud Yahou est pasteur d'une communauté
chrétienne en Kabylie. Il affronte la justice de son pays, qui lui reproche de
ne pas être musulman. En s'e n prenant à lui, les
autorités espèrent disperser son petit troupeau. Témoignage d'un converti.
Par Nadjet Cherigui
Publié le 24 décembre 2010
Une fois
en progression. Les communautés protestantes d'Algérie se développent, en dépit
de la répression dont elles sont victimes.
« Vous serez jugés devant les tribunaux et les rois.»
C'est écrit dans la Bible, et elle ne m'a pas trompé : j'étais prévenu! Depuis 1998, je suis pasteur au sein d'une petite
communauté protestante, dans le village d'Aït Atelli,
en Kabylie, à 30 kilomètres au sud de Tizi Ouzou. Parmi les 6000 habitants
musulmans, nous sommes une petite centaine d'irréductibles chrétiens.
En tant que pasteur, je suis harcelé depuis des mois par les autorités
algériennes. J'ai été traîné devant la justice pour ouverture de lieu de culte
illicite. Les réquisitions du procureur ont été sévères:
un an de prison ferme et 20.000 dinars d'amende. La sentence est tombée le 12
décembre : trois mois de prison avec sursis et 10.000 dinars d'amende. Ce
procès n'est pas le mien, c'est celui de tout le monde, car il rappelle que,
dans ce pays, nous ne sommes pas libres.
Mon seul tort est d'avoir fait l'acquisition d'une maison pour célébrer
le culte. Le maire a mis en demeure la communauté chrétienne de renoncer à
pratiquer : selon lui, nous sommes dans l'illégalité. Et pourtant, nous sommes
affiliés à l'Eglise protestante d'Algérie, reconnue par l'Etat depuis 1975.
Je ne suis coupable que d'une chose, en réalité : j'ai renié l'islam
pour me convertir au christianisme. Ici, on naît arabe et forcément musulman.
Faire le choix d'une autre religion est perçu comme un acte contre-nature ou de
haute trahison. C'est ma foi qui est en procès, mais rien ne me fera plier.
Pourtant j'ai été un fervent musulman. Mais au fond, quelque chose me
dérangeait : cette religion faisait de moi un être fermé et intolérant.
En 1993, à 26 ans, je suis parti en France. Installé à Marseille, j'ai
fait la connaissance d'un groupe de jeunes protestants. Ils m'ont parlé de
Jésus, de l'amour de Dieu et de la Bible. Je me suis montré très agressif à
leur égard, mais ne cessais de les rencontrer. Nous avons fini par discuter de
nos croyances respectives. J'étais intrigué par leur façon de prier, en agitant
les bras et en chantant. Un jour, ils m'ont fait lire un passage de la Bible.
Je l'ai fait par curiosité avant de m'enfuir. Je me suis senti traître à ma
foi. J'ai fait la chahada * pour me débarrasser de ce sentiment de péché, mais
rien n'y faisait : cette religion m'attirait, car elle m'apaisait. Après six
mois de lecture et d'étude, je me suis décidé et je suis rentré en Algérie avec
l'intention d'y rester. J'avais enfin trouvé la joie. Dès lors, il était
inutile de chercher la fuite ou l'exil. Je me suis fait baptiser par immersion,
le 4 novembre 1994, au temple protestant de Ouadhia,
en Kabylie.
Une vie de tous les jours faite de vexations
et de brimades
Etre chrétien dans ce pays, c'est un
combat quotidien. Il faut se battre pour être accepté, pour trouver le juste
équilibre dans notre pratique, sans déranger les musulmans dans la leur.
Pendant le ramadan, par exemple, je fais attention de ne pas manger devant eux.
L'essentiel, pour nous, est de respecter notre prochain. Le temple du village
n'est pas marqué d'une croix. Ce n'est pas nécessaire, car je suis moi-même une
croix ! Et c'est parfois lourd à porter... Notre quotidien est fait de
vexations et de brimades. Il y a les regards, la violence de certains propos,
les rumeurs les plus folles sur les mœurs de notre communauté. Mais aussi la
surveillance et les contrôles incessants des policiers. Je me suis récemment
rendu à la préfecture afin de faire renouveler mon passeport. Le fonctionnaire
m'a répondu qu'il m'était refusé, car, en tant que chrétien, j'étais un traître
à la patrie et indigne d'être algérien. Que répondre face à tant d'ignorance et
d'intolérance ? Ils ne savent pas ce qu'ils font, car ils sont manipulés par
les extrémistes religieux mais aussi par l'Etat. Je leur pardonne.