Un rapport du Sénat clairvoyant, des ministres
aveugles (F. Bergeaud-Blacker , G. Chevrier, atlantico.fr , 10 juil. 20)
Guylain Chevrier, docteur en histoire, enseignant et formateur en
travail social, vice-président du Comité Laïcité République ; Florence Bergeaud-Blackler, anthropologue, chargée de recherche au
CNRS, GSPRL PSL Université. 17 juillet 2020
[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif
et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"[...] F. Bergeaud-Blacker - La
corruption accompagne un renversement des valeurs parfois stupéfiants. On
découvre que des mouvements féministes, LGBTQ qui sont pourtant menacés par les
radicaux islamistes défilent aux mêmes manifestations qu’eux, que des militants
extrême-gauche anti-fascistes qui se disent rebelles
à toutes formes de pouvoir autoritaire se font les porte- valises dociles des
islamistes sous prétexte que ces derniers seraient racisés. [...]
G. Chevrier - On peut s’interroger tout d’abord du fait que nos
gouvernants puissent considérer que le rôle dévolu à l’Etat soit d’accompagner
l’organisation d’un culte, tel que Monsieur Castaner,
alors ministre de l’Intérieur, l’avait confié pour dire que cela relevait du
rôle de la laïcité (sic !). Une grave confusion que cette commission a
tenté de lever. On peut aussi s’interroger qu’on investisse autant dans la
croyance qu’il suffirait de maitriser des fonds et de former des imams pour
lutter contre la radicalisation, la haine religieuse. [...]
C’est à la République, en prenant des mesures fortes, de se faire
respecter. Comme contre la propagande salafiste qui a conquis trop de nos quartiers,
tendance fondamentaliste religieuse en totale opposition avec nos principes
républicains, une façon de vivre strictement copiée sur celle du prophète et
donc, selon des principes de vie sociale du VIIe siècle, totalement opposés à
la démocratie et aux libertés communes, avec l’inégalité hommes-femmes comme
principe fondamental, polygamie et burqa à la clé. Une tendance religieuse
fondamentaliste et radicale de l’islam, qui aurait dû être interdite en France.
Faut-il englober cela avec « la liberté de culte » dont nous parle
Gerald Darmanin ? On sait que dans la bonne ville de Tourcoing dont il est
maire, les salafistes ont pignon sur rue, avec une mosquée qu’ils lui doivent
au moins en partie. On a aussi à l’esprit l’annulation du spectacle « Boudin
et chansons », une farce burlesque programmée lors de la fête de la
musique en juin 2015, justifié par son Premier adjoint qui explique qu’il ne
veut pas « qu’on choque » une partie de la population de confession
musulmane et que l’amalgame soit fait avec les apéritifs organisés par
l’extrême droite. On voit à quoi on peut se référer pour évoquer le laxisme.
[...]
On a vu des femmes voilées sur les photos de promotion des listes de
candidats, comme celle des verts à Strasbourg, coutumiers de façon générale à
flatter l’électorat communautaire, qui ont gagné. On banalise le voile, symbole
d’un apartheid sexuel, en l’installant jusque dans le décor de nos lieux de
pouvoir politique, dans une République qui sépare pourtant le politique du
religieux, ce qui ne peut que jeter le trouble sur le sens de nos institutions
qui n’avaient pas prévu cela. Le député LREM du Rhône et candidat du parti
présidentiel à la mairie de Vénissieux, Yves Blein, a
fusionné sa liste avec celle de Yalcin Ayvali,
idéologiquement proche de Recep Tayyip Erdogan, pour
tenter de gagner l’élection, mais l‘a perdue. On a aussi trouvé sur la liste du
candidat Gaël Perdriau, maire sortant et réélu (Les
Républicains) de Saint-Etienne, Abdelouahab Bakli, présenté comme « Directeur d’établissement de
placement éducatif » et « Président d’association », qui est
connu comme ayant été un militant actif au sein de l’UOIF, branche française de
l’organisation des Frères musulmans, renommée depuis 2017 « Musulmans de
France ». [...]
Devant les sénateurs, Roxana Maracineanu, la
ministre des Sports, avait annoncé le déploiement d’un plan national de
prévention des violences dans le sport en septembre, censé englober
« toutes les formes de déviances » dont les discriminations,
violences et risques de radicalisation. Mais, avait pris de front la commission
d’enquête en développant que « l’idée n’était pas de définir la
laïcité » par l’interdiction de « tous signes religieux dans la
pratique sportive. Considérant que cela « irait plutôt dans un sens
d’exclusion des individus, de notre société (…) Le sport que je défends est un
sport inclusif où tout le monde arrive comme il est » avait-elle mis en
avant. Derrière ce discours, c’est un choix de société qui se profile, entre
chacun sa différence ou la neutralité et la mixité, dans un cadre d’égalité,
qui constituent les principes fondamentaux du sport dans notre pays laïque,
quoi qu’elle en pense. Il y a du pain sur la planche. Dans leur proposition les
sénateurs veulent aller plus loin par l’interdiction « dans les statuts de
chaque fédération » « de toute démonstration ou de propagande
politique, religieuse ou raciale, telle que prévue par l’article 50 de la
charte olympique ». C’est d’autant plus important dans la perspective des
JO de 2024 à Paris. [...]"
Lire "Islam politique :
nouveau gouvernement, vieilles lâchetés".
Post scriptum
Voir aussi dans la Revue de presse "Un rapport alarmant
pointe la propagation de l’islam politique en France" (lefigaro.fr , 9
juil. 20), "Etat, école, sport... Un
rapport sénatorial s’alarme d’une "radicalisation islamiste" de plus
en plus menaçante en France" (AFP, 9 juil. 20), les
rubriques Organiser l’"islam de
France", Tourcoing, Sport, dans les Documents Sénat : Commission
d’enquête "Combattre la radicalisation islamiste" (14 nov. 19-7 juil.
20) (notamment Zineb El Rhazoui :
« Les Frères musulmans sont aux portes du pouvoir » (Sénat, 23 jan.
20)) (note du CLR).
Mis en ligne : 17
juillet 2020
Jean-Pierre Obin :
« En 2004, notre rapport nous a valu d’être taxés d’islamophobes » (Le
Figaro, 23 jan. 15)
23 janvier 2015
"Il y a plus de dix ans, cet ancien inspecteur général remettait à
François Fillon, ministre de l’Éducation, un rapport sur « les signes et
manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements
scolaires ». Enterré à l’époque, le document est cruellement d’actualité.
Tout comme ses recommandations.
On parle beaucoup de votre rapport, à
commencer par Manuel Valls qui l’a évoqué le 21 janvier. En quoi la donne
a-t-elle changé ?
Jean-Pierre OBIN - Tous les constats que nous faisions à l’époque, de la contestation
de la laïcité dans certaines disciplines au prosélytisme à la cantine, en
passant par le déni ou le refoulement des enseignants et l’avènement dans certains
quartiers de contre-sociétés, sont d’actualité. Mais le paysage politique
français a considérablement évolué en 10 ans, avec la montée en puissance du FN
notamment. La géopolitique internationale a vu le djihad progresser, avec des
territoires identifiés et une armée constituée. Et surtout, il suffit de se
connecter à un site djihadiste pour s’abreuver de propagande.
Je dirais qu’aujourd’hui les enseignants sont davantage prévenus des risques de
contestation qu’ils peuvent rencontrer dans certaines disciplines, comme en SVT
(science et vie de la Terre) ou en histoire. L’ère du silence est terminée. Les
enseignants ne sont pas mieux formés à cela, mais ils sont moins surpris... En
revanche, [en ce qui concerne] [1] la sécession d’une partie des
élèves, ceux dont nous relevions qu’ils se revendiquaient d’une « identité
musulmane », se démarquent désormais par une hostilité accrue. Les moments
de recueillement liés au 11 septembre 2001 et aux attentats de Madrid en 2004
avaient certes été perturbés, mais aujourd’hui, la contestation des minutes de
silence en hommage aux victimes de Charlie Hebdo a pris une tout autre
allure : des groupes d’élèves ont expliqué, de manière assumée, que l’on
ne pouvait représenter le Prophète, que ces victimes l’avaient « bien
cherché »...
À l’époque, qu’est-ce qui vous avait le
plus choqué ?
La violence de l’antisémitisme, obligeant les parents à déscolariser
leurs enfants de l’enseignement public... « Nous ne pouvons rien faire, c’est les Juifs contre les Arabes », nous avaient
expliqué en substance des chefs d’établissement. Des comportements scandaleux.
À travers notre rapport, nous n’avons pas dénoncé les musulmans ou les Arabes,
comme certains ont pu le dire mais l’attentisme inacceptable de l’institution.
C’était un cri, une sonnette d’alarme.
Pourquoi a-t-il été étouffé ?
Comme tous les rapports de l’Éducation nationale, il avait été commandé
par un ministre - en l’occurrence Luc Ferry, et son ministre délégué à
l’enseignement scolaire, Xavier Darcos -, et rendu à un autre, François
Fillon, en juin 2004. Sous la pression des médias et des syndicats, le
ministère avait fini par le publier sur son site, neuf mois plus tard. En 2005,
Gilles de Robien arrivé Rue de Grenelle avait expliqué à une délégation de la
Licra que la promulgation de la loi de 2004 sur le port des signes religieux
dans les établissements scolaires avait rendu le rapport « caduc ».
Nous précisions pourtant que la question du voile n’était que « l’arbre
qui cache la forêt ».
À l’époque, certains ont été dans le déni total, à gauche, où nos
constats ont heurté des convictions. Nous avons aussi été taxés d’« islamophobes ». À l’extrême droite, Philippe de
Villiers a repris des passages entiers dans un livre, en les sortant de leur
contexte. Enfin, à gauche comme à droite, on s’est demandé si toute vérité
était bonne à dire, si l’on n’allait pas « faire le jeu de »... En réalité, ce rapport était un « objet
scolaire non identifié », obligeant l’école et l’Éducation nationale à
sortir de sa zone de confort.
Que dire des mesures présentées le 22
janvier par Najat Vallaud-Belkacem ?
Il faut saluer des mesures concrètes, qui reprennent largement ce que
nous avions recommandé en 2004. À commencer par le fait de déployer sur le
terrain, à destination des enseignants, 1000 formateurs, estampillés
« laïcité ». Par ailleurs, inclure dans le concours de recrutement
une épreuve évaluant « la capacité à faire partager les valeurs de la
République » est déterminant, d’un point de vue pratique - les futurs
enseignants vont s’y préparer - et surtout symbolique. Toucher au concours
permet de toucher aux représentations que les enseignants se font du métier.
Mais nous sommes là au stade des annonces. Tout va se jouer sur le suivi et la
continuité de l’action gouvernementale. Manuel Valls, qui pilote directement le
dossier éducatif, se situe depuis toujours dans une ligne républicaine :
le professeur n’est pas seulement là pour transmettre des connaissances, mais
des valeurs.
Que manque-t-il ?
Des mesures concrètes autour de la mixité sociale. Nous savons que les
établissements qui ont su ou pu préserver une mixité de leur recrutement ont le
plus souvent pu surmonter les perturbations liées aux manifestations
d’appartenance religieuse. Najat Vallaud-Belkacem a présenté ce chantier comme
prioritaire. Mais concrètement, il va falloir s’attaquer à la carte scolaire.
Une œuvre de longue haleine. Il faut aussi mettre en place des indicateurs
permettant de récompenser les établissements vertueux et l’action des chefs
d’établissement. Enfin, s’il arrive que l’Éducation nationale accentue les
dynamiques ségrégatives, elle n’en est pas à l’origine. Le phénomène
ségrégationniste dépasse l’école. La politique territoriale a évidemment son
rôle à jouer. Dans certains quartiers, se sont construits des contre-sociétés,
où certaines organisations politico-religieuses ont développé un sentiment
d’appartenance à une « nation musulmane », ce qu’on appelle l’« Oummat ». Certains
élus n’ont pas hésité à donner le pouvoir à des « grands frères ».
Nous l’avions dit aussi en 2004, nous attirant les réactions outrées de
sociologues.
À quand un nouveau « rapport Obin » ?
Si l’on en croit les mesures présentées jeudi par la ministre de
l’Éducation, des « remontées » concernant la typologie des
difficultés rencontrées et des besoins exprimés sur le terrain seront faites
chaque année via les inspections académiques."
Lire "Jean-Pierre Obin : « En 2004, notre rapport nous a valu
d’être taxés d’islamophobes »".
[1] Note du CLR.
Post scriptum
Lire aussi le communiqué du CLR Laïcité : une volonté
politique rassurante qui doit se traduire en actes (22 jan. 15) (note du
CLR).
Mis en ligne : 23
janvier 2015