"Privilège blanc", réseaux sociaux, islamisme : les méthodes du nouvel antiracisme pour abattre l'universalisme

 

Publié le 17/06/2020 à 09:27

Naëm Bestandji

Naëm Bestandji

 @BestandjiNaem

Blogueur, féministe et laïc engagé.

https://www.marianne.net/debattons/billets/privilege-blanc-reseaux-sociaux-islamisme-les-methodes-du-nouvel-antiracisme-pour

 

Naëm Bestandji se porte en faux face au nouvel antiracisme qui tend à s'imposer : il l'estime communautaire et raciste. Au contraire, il prône un antiracisme universaliste et républicain.

Depuis plusieurs années, des mouvements et individus vérolent la lutte contre le racisme pour en imposer une vision clivante et communautaire. Ils sont minoritaires. Mais leur activisme agressif et bruyant s'étend. Ils sont en passe de devenir les représentants de l'antiracisme en France. Les récentes manifestations montrent leur influence grandissante. Comment est-ce possible ? Deux conceptions s'affrontent. La première est l'universalisme, étroitement liée à notre histoire. Elle est à l'origine de la Déclaration universelle des droits de l'Homme.

L'UNIVERSALISME RECONNAIT L'HUMAIN AVANT LA COULEUR

L'universalisme reconnait l'individu dans son humanité. Aucune idéologie politique ou religieuse, aucune tradition, culture ou philosophie, ne peut justifier des discriminations à l'encontre d'un individu. Peu importe la couleur de peau, le sexe, la culture, la religion ou le milieu : le lieu de naissance ne doit pas être une roulette russe où "tu perds ou tu gagnes". Notre triptyque républicain, "Liberté, Égalité, Fraternité", en est la traduction philosophique. C'est pour cela que la République ne distingue ni la couleur ni la (non) religion des individus. Elle ne reconnait que des citoyens, sans distinction.

Depuis plusieurs années, des mouvements et individus vérolent la lutte contre le racisme pour en imposer une vision clivante et communautaire

Cet idéal universaliste est le moteur de milliers de femmes et d'hommes à travers le monde. Il s'agit bien d'un idéal, d'un principe, pas d'un programme politique. Cet idéal a inspiré nos lois pour lutter contre les discriminations et le racisme. Mais il a souvent été trahi par le non-respect de ces mêmes lois. Il a aussi été trahi par certains de ceux censés le promouvoir et s'en inspirer dans leurs actions politiques. De la colonisation d'hier aux ghettos urbains d'aujourd'hui, la France n'a pas toujours été à la hauteur. Pourquoi ? Une des raisons est que les opposants à l'universalisme ont toujours été influents. D'autres l'ont instrumentalisée pour imposer la "civilisation" à des peuples considérés comme inférieurs. Les enjeux économiques et géostratégiques étaient souvent les premières motivations. Les idéaux, c'est bien. L'expansion de l'empire français, c'est mieux.

L'échec de la marche pour l'égalité et contre le racisme en 1983 est aussi un échec pour l'universalisme. Les quartiers populaires, habités en majorité par des Français d'origine étrangère et des étrangers, en sont les premières victimes. Leur situation actuelle n'est pas la conséquence de l'universalisme, mais le contraire, parce que l'universalisme s'est arrêté à leur porte. La République n'a pas reconnu tous ses enfants. Le manque de moyens, les erreurs, voire les obstacles politiques à l'universalisme, en sont responsables. Face à cela, une nouvelle génération de militants antiracistes se tourne vers un modèle moins exigeant intellectuellement et plus facile à mettre en œuvre : le racialisme. En effet, il n'est pas un idéal théorique. Il est plus pragmatique.

LE RACISME BON TEINT SOUS COUVERT D'ANTIRACISME

La première particularité de cette conception "antiraciste" est de réintroduire la notion de "race". Ses partisans déclarent que la race n'est plus biologique mais sociale. Or, réintroduire la "race" fait bien référence à la biologie. Ils remplacent la lutte des classes par la lutte des races, avec toutes les déclinaisons et dérives que cela induit. Tout est analysé par le prisme de la couleur de peau. Les racialistes prétendent ainsi lutter contre le racisme pour mieux promouvoir le leur. Ce n'est plus un racisme par le haut où l'autre est considéré comme inférieur. C'est un racisme par le bas, victimaire, qui considère l'autre comme oppresseur. L'ennemi est tout trouvé : le "blanc".

Attribuer une couleur de peau, la "blanchité", comme dénomination d'un système d'oppression supposé, lui coller un épiderme, est une forme de racisme. A l'opposé de la "blanchité" il y a le "racisé". Ce terme, profondément raciste et paternaliste, réduit et assigne lui aussi l'individu à son épiderme. Il fait de lui une victime éternelle.

Attribuer une couleur de peau, la "blanchité", comme dénomination d'un système d'oppression supposé, lui coller un épiderme, est une forme de racisme

Cette catégorisation simpliste (un nuancier serait nécessaire pour mesurer le degré de "racisation" ?), digne des théoriciens de la hiérarchie des races du XIXe siècle, est transformée en slogans politiques. Ce racisme victimaire pointe un "racisme d'État structurel", pensé, organisé et légalisé par des "blancs". Tous leurs maux trouveraient leur explication dans la "blanchité" et l'histoire coloniale. La couleur de peau d'un être humain devient l'unique explication de ce qu'il peut subir ou faire subir à autrui. Un "blanc" est considéré comme comptable de toute l'histoire coloniale de ses aïeux... ou des aïeux des autres. Et si des Français noirs ou d'origine maghrébine rejettent cette appellation de "racisés" et veulent s'émanciper de leur assignation ? Ils sont considérés comme des traitres, des "nègres de maison", des "arabes de services", des "collabeurs". Oui, le racialisme est bien une nouvelle forme de racisme.

Il ne vise donc pas le vivre ensemble. Il vise à cliver la société, la diviser en groupes ethniques et religieux. Son modèle est américain. Les États-Unis se sont construits et sont organisés autour du communautarisme et de la ségrégation raciale. La lutte pour les droits civiques, depuis des décennies, s'organise autour de cela. Chacun parle au nom de son "peuple" qui n'est pas le peuple américain mais le peuple de sa pigmentation. Tous les groupes doivent pouvoir vivre côte-à-côte, coexister, sans heurts, au sein d'un même État. Tel est le modèle que veulent importer les racialistes, avec tout le vocabulaire raciste en bagage comme "white privilege", "white tears", etc. La lutte n'est plus universelle. Elle est communautaire.

Seul le taux de mélanine compte pour lutter contre le "privilège blanc"

Cette conception racialise aussi une religion, l'islam, considérée comme la religion des opprimés. Elle devient génétiquement incluse en chaque musulman "de naissance". On ne pointe plus seulement les attaques contre des individus en raison de leur religion. On pointe aussi, et surtout, la peur et la critique de l'islam comme une forme de racisme. "Islamophobie" a ainsi été préférée à "musulmanophobie". Toute critique ou moquerie du dogme est déclarée être une attaque contre les croyants. De plus, les intégristes musulmans seraient des musulmans lambda. Toute critique de l'islamisme devient alors une attaque contre l'ensemble des musulmans, donc de "l'islamophobie", donc du racisme... même si ces critiques et moqueries émanent d'autres musulmans. C'est là que le racialisme rejoint l'islamisme. Ce dernier souhaite depuis toujours faire de l'islam une race (supérieure) dont le voilement sexiste des femmes serait l'équivalent de la couleur de peau. Le CCIF et l'islamisme fashion de l'association Lallab, idéologiquement issue des Frères musulmans, sont des exemples d'alliance avec les racialistes.

Par son rejet de l'universalisme, le racialisme nie les discriminations et le racisme intracommunautaires, l'antisémitisme dans les quartiers populaires, le sexisme et l'homophobie exprimés par des "racisés". Seul le taux de mélanine compte pour lutter contre le "privilège blanc".

QUELQUES CAS CONCRETS DE L'ANTIRACISME VERSION RACIALISTE

La sociologue Nacira Guenif, par exemple, considère que "espèce de juif" n'est pas une insulte. Cela relève, selon elle, du "langage courant". Sont également organisés des évènements en non mixité raciale. La liste est longue. Le collectif étudiant "Riposte Antiraciste Populaire" en est un exemple. Il avait organisé, à l'Université Paris VIII en avril 2018, une "AG en non-mixité genre et race (sans mec cis et pour les personnes subissant à titre personnel le racisme en contexte français)". Un mois après cet apartheid, lors d'une conférence à la faculté de Tolbiac, ce collectif cibla l'universalisme durant plus de deux heures trente. Voici un extrait de son argumentaire : "Si en France il n'y avait pas de racisme d'État, si on arrive à régulariser tout le monde, s'il n'y avait pas de racisme institutionnel, ça ne sera plus la France. (…) La personne française, c'est la personne raciste." Ce propos suscita la joie, des rires et de longs applaudissements dans la salle. Youcef Brakni, co-intervenant, fut aussi gagné par ce moment de grâce. Membre influent du collectif "Justice pour Adama", il est de ces identitaires musulmans/"Arabes" qui assurent le lien entre la frange racialiste de la gauche et l'islamisme politique, comme Madjid Messaoudene, Taha Bouhafs et d'autres.

LE DYNAMISME DU RACIALISME ET SA MAITRISE DES OUTILS DE COMMUNICATION

Par son simplisme et son populisme idéologique, le racialisme réussit à s'imposer grâce à ses militants. Les associations antiracistes universalistes sont des grosses structures enracinées dans leurs habitudes. Leurs modes d'action et de communication ont peu changé depuis trente ans. Elles sont de moins en moins en phase avec le terrain, notamment au sein des quartiers populaires et de la jeunesse. Les racialistes, bien plus dynamiques, s'organisent autour de petites structures et d'individualités directement au contact de la population, surtout la jeunesse.

L'universalisme prône le droit à l'indifférence et cultive ce qui nous rassemble

Les universalistes ayant disparu, ils ont, avec les islamistes, le champ libre. Depuis des années, ils montent des actions locales, créent des convergences avec d'autres petites associations d'autres villes, investissent des partis politiques, des syndicats, des mouvements féministes, etc. Ils rivalisent d'ingéniosité par leur maîtrise des outils de communication modernes. Les universalistes sont moins à l'aise avec cela, constamment dans la réaction face aux offensives racialistes sur les réseaux sociaux. Prenons pour exemple AJ+, média racialiste en ligne financé par le Qatar et diffusé en quatre langues : quelle chaine serait son pendant universaliste ? Aucune. Une telle chaine n'existe pas. Avec le temps, le maillage racialiste s'est densifié, les pratiques se sont aguerries, avec parfois le soutien financier de l'État "raciste" et des communes.

DEUX CONCEPTIONS AUX ANTIPODES

L'universalisme prône le droit à l'indifférence et cultive ce qui nous rassemble. Les différences de chacun sont une richesse qui alimente positivement la société. Mais elles ne peuvent servir à organiser la société autour d'elles pour marquer les individus selon leur couleur. Le racialisme prône le droit à la différence et cultive ce qui nous sépare. Chacun devrait être assigné à sa communauté supposée et rester à sa place. Sans jamais perdre de vue la couleur de peau des victimes et des bourreaux éternels. Les "blancs" qui les soutiennent n'en finissent pas de s'auto-flageller. Ce modèle communautariste est plébiscité par l'islamisme car l'universalisme lui est un obstacle infranchissable.

L'universalisme est bien le seul antidote au racisme.

Le racialisme n'est pas une nouvelle forme d'antiracisme mais de racisme. Il est le miroir de nos échecs, l'enfant des maux de notre société. De plus, il entretient et attise le racisme d'antan. L'extrême droite est revigorée par les revendications identitaires et clivantes des racialistes. Le Rassemblement national se frotte les urnes. Face à cela, l'universalisme doit enfin être appliqué pleinement. Il est un idéal à préserver car le seul respectueux de chaque être humain. L'universalisme est bien le seul antidote au racisme.

 

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