Terrorisme :
Mosquées radicales et djihad en Europe

Plus d'information sur l'image : Cérémonie pour les victimes de l’attaque de la préfecture de police. Paris, 4 octobre 2019. © LUDOVIC MARIN/AFP

OPINION. A la suite de l’attaque contre la préfecture de police de Paris, dont l’assaillant fréquentait depuis des années une mosquée contrôlée par les Frères musulmans, le consultant Olivier Guitta souligne le rôle des mosquées et des imams dans ces passages à l’acte.

Le 3 octobre, un informaticien à la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris a poignardé et tué quatre de ses collègues, décapitant une des victimes. Le tueur, qui était dans la police depuis seize ans et porteur d’une habilitation secret-défense, s’était converti à l’islam il y a quelques années. Il avait montré des signes de radicalisation, exprimant son soutien aux actions islamistes, sa réticence à avoir des contacts avec les femmes et la justification de l’attentat de Charlie Hebdo en 2015. Les autorités ont trouvé dans une de ses clés USB des vidéos de décapitation de l’État islamique ainsi que la preuve d’un contact étroit avec un imam salafiste. Encore une fois, dans le cas de cette dernière attaque djihadiste en Europe, il y a un lien avec une mosquée radicale.En effet, le djihadiste français à l’origine de l’attaque contre la préfecture de police de Paris fréquentait depuis des années une mosquée contrôlée par les Frères musulmans. Par ailleurs, l’un des imams officiant à la mosquée de Gonesse était fiché S depuis 2015, un an après son arrivée du Maroc. Malgré cela, il a été autorisé à rester en France et à diffuser sa propagande fondamentaliste.

Derrière chaque terroriste, un imam

Les exemples de mosquées radicales liées au djihad se comptent par dizaines: de la mosquée de Hambourg où certains des pirates de l’air du 11-Septembre se sont radicalisés, à la mosquée de Finsbury à Londres, qui fut l’aimant de beaucoup de figures djihadistes au début des années 2000. Comme l’a dit Louis Caprioli, ancien chef de la lutte contre le terrorisme au sein des services de renseignement français, «derrière chaque terroriste musulman, il y a un imam radical». Pour preuve, les frères Kouachi, qui ont perpétré l’attentat contre Charlie Hebdo, ont été radicalisés dans une mosquée du XIXe arrondissement de Paris. Aussi l’un des kamikazes français de l’État islamique qui a participé aux attaques de novembre 2015 a été radicalisé dans une mosquée de Chartres.

Même dans la tranquille Suisse, la mosquée du Petit-Saconnex à Genève a été un vecteur de radicalisation
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Ce phénomène n’est pas exclusif à la France: même dans la tranquille Suisse, la mosquée du Petit-Saconnex à Genève a été un vecteur de radicalisation. Le djihadiste suisse le plus dangereux présent en Syrie a été radicalisé là-bas, ainsi qu’un des ressortissants suisses arrêtés dans le cadre du meurtre en 2018 de deux jeunes filles scandinaves au Maroc. Incidemment, deux des imams qui officiaient dans cette mosquée étaient fichés S. Toujours en Suisse, l’imam de la mosquée de Winterthur a été arrêté pour avoir appelé à tuer des musulmans qui n’assistent pas aux prières. Au Royaume-Uni, la mosquée de Manchester, que Salman Abedi, le djihadiste de l’Etat islamique qui a perpétré l’attaque à la Manchester Arena, a fréquenté, était dirigée par un imam radical qui appelait au djihad armé et a poussé cinq autres jeunes à rejoindre l’EI. Aussi, l’imam radical d’une mosquée de Birmingham, où un des terroristes du Bataclan priait, a été arrêté pour avoir recruté des djihadistes. En Belgique, en 2018, l’OCAM, l’entité gouvernementale chargée d’évaluer le niveau de la menace, a averti que l’école de la mosquée de Bruxelles enseignait le djihad armé. Au Kosovo, 22 mosquées appelaient ouvertement en 2015 à rejoindre le djihad en Syrie.

Cibler les «généraux

Mais de toutes les affaires du djihad européen, l’attaque terroriste de Barcelone/Ripoll est d’une certaine manière la plus étonnante. Le cerveau derrière l’attaque était l’imam marocain de la mosquée de Ripoll. Il était lié à l’attaque d’Al-Qaida à Madrid en 2004 et il est mort en manipulant des explosifs la veille de l’attentat de Barcelone. Plutôt que de se contenter de radicaliser ses fidèles, il avait décidé d’être le chef d’une cellule opérationnelle de l’État islamique et de mourir en «martyr».La Commission sur le terrorisme du Parlement européen conseille judicieusement de mettre en place une liste à partager entre les pays européens de tous les imams radicaux. En effet, nombreux sont ceux-ci prêchant encore en Europe sans être dérangés. À la source de cette radicalisation se trouvent des mouvements islamistes très bien financés et extrêmement bien organisés. Par exemple, le salafisme s’est récemment développé en Europe: en Belgique, où on a répertorié plus de 100 organisations salafistes actives dans le pays; en France, où le nombre de mosquées salafistes a augmenté de 15 en 1990 à 60 en 2015 puis 132 en 2018. L’Office allemand pour la protection de la Constitution a récemment averti que la plus grande et plus influente organisation islamiste, les Frères musulmans, constitue désormais un plus grand danger pour l’Allemagne que l’État islamique et Al-Qaida.Lutter contre le terrorisme djihadiste ne peut pas se faire seulement en se concentrant sur les «soldats», mais doit aussi cibler les «généraux». En fait l’incitation au terrorisme a un effet multiplicateur : un prédicateur intelligent peut convaincre des dizaines ou des centaines de recrues. Pour faire une analogie avec la lutte contre la drogue, devrions-nous blâmer seulement le consommateur et oublier le trafiquant ? Malheureusement, pour le moment l’Europe laisse le dealer tranquille…

La France n'avancera pas tant qu'elle ne désignera pas l'ennemi : l'islamisme

Publié le 16/10/2019 à 17:26

https://www.marianne.net/debattons/billets/la-france-n-avancera-pas-tant-qu-elle-ne-designera-pas-l-ennemi-l-islamisme

Ghislain Benhessa

Avocat, docteur en droit, auteur de L’État de droit à l'épreuve du terrorisme (L'Archipel).

L’œuvre d’un déséquilibré, le résultat d’un repli sur soi jusqu’au passage à l’acte, le fruit d’un esprit fragile tombé dans la radicalisation. Depuis janvier 2015 et l’attentat contre Charlie Hebdo, le récit tourne en boucle. À chaque nouvelle attaque, c’est la même histoire. D’abord, une prise de distance jusqu’à la marginalisation : premier "signal faible" d’une rupture avec l’environnement social, qu’il soit scolaire, professionnel ou familial. Ensuite, la conversion à l’Islam et la découverte de sa branche radicale : pour Mickaël Harpon, l’égorgeur de la Préfecture de Paris, ce fut la fréquentation de la mosquée de Gonesse, où officiait un imam fiché S du nom d’Ahmed Hilali.Les choses bougent à un rythme d’escargotConcomitamment, le rejet des valeurs démocratiques et républicaines : discours victimaires, complotistes ou revanchards à l’égard de l’Occident, refus du contact avec les femmes, aveux publics de satisfaction à l’endroit des attentats du 11 Septembre ou du massacre de Charlie Hebdo. Étape terminale : le passage à l’acte, la bascule dans le chaos et la mort par tous les moyens – armes blanches, armes à feu, voitures béliers. Tel est le tragique et répétitif scénario, faisant du terroriste un ennemi par degré : un individu quittant pas à pas les rives de la normalité, de la raison et de la conscience autonome pour prendre in fine les armes contre son ancien monde d’appartenance.En somme, l’histoire d’un dérèglement social et psychique, d’une dérive graduelle jusqu’à l’adoption d’une idéologie de repli incarnée par un Islam dévoyé et mortifère. Sous ce prisme, le terrorisme islamiste n’est rien d’autre qu’une dégénérescence individuelle menée à terme, une mutation progressive de la vie vers la mort, l’aboutissement d’un cheminement vers le nihilisme. Tel a longtemps été le portrait des Français partis en Syrie grossir les rangs de Daech. Tel est aujourd’hui encore le profil de l’ennemi intérieur, à l’image de Mickaël Harpon.

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LE COURAGE DE DÉSIGNER L'ENNEMI

Un tel récit achoppe toutefois sur le réel : il dit certes quelque chose des terroristes, mais strictement rien de l’islamisme. Il rend certes partiellement compte du schéma à l’œuvre, des conditions de l’enrôlement, de la fascination exercée par une idéologie, mais il reste à la fois simpliste et rassurant. Rassurant car il résume le terroriste à un rejeton déviant de notre propre système, récupéré puis corrompu par un Islam littéral donc obscurantiste. En somme, un exclu aux motivations aussi meurtrières qu’incompréhensibles et barbares. Simpliste car il se focalise essentiellement sur des figures, au mépris de l’idéologie politico-religieuse qui les sous-tend.Salman Rushdie a beau tirer la sonnette d’alarme face à "l’aveuglement stupide" de l’Occident, Pascal Bruckner souligner combien "le terrorisme et l’intégrisme sont des frères jumeaux qui s’épaulent et agissent par des moyens différents[1]", Boualem Sensal pointer du doigt l’inaction des gouvernements européens pour contrer l’islamisation en marche, ou Alain Finkielkaut s’inquiéter de la sécession à l’œuvre dans une multitude de quartiers, rien n’y fait. Les choses bougent à un rythme d’escargot, pour deux raisons principales.La première, qui crève les yeux, est évidemment la "maladie" du "dénislamisme". Soit, pour reprendre les termes d’Alexis Brézet, "cet étrange tour d’esprit qui fait toujours reconnaître un déséquilibré derrière chaque attentat perpétré sur le sol national[2]". Le procès en islamophobie a paralysé le débat public, au nom d’un seul et unique mot d’ordre : pas d’amalgame entre l’islamisme et les musulmans. Le ministre de l’Intérieur l’a une énième fois martelé devant la Commission des lois du Sénat le 10 octobre dernier : "Personne ne fait de lien entre la religion musulmane et le terrorisme, ni même entre la religion musulmane, la radicalisation et le terrorisme.".

Toute véritable stratégie de défense repose sur un postulat fondamental : la désignation de l’ennemiÉvidemment, pas plus qu’hier ne sommeillait en chaque Allemand un nazi en puissance, ne sommeille aujourd’hui en chaque musulman un terroriste potentiel. En revanche, à force de ne pas déduire des "Allahu akbar" lancés à la face du monde qu’il s’agit d’Islam radical, à force de brouiller le message pourtant limpide que le terrorisme nous adresse, la tétanie s’installe. C’est ce qu’a démontré avec fracas l’attaque contre la Préfecture de Paris : les dysfonctionnements dans la chaîne de commandement sont le signe d’une machine administrative paralysée, qui n’ose réagir alors même que les signes de radicalisation du meurtrier étaient connus et relayés.

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Mais une deuxième raison, plus profonde encore, explique l’impasse actuelle. Toute véritable stratégie de défense repose sur un postulat fondamental : la désignation de l’ennemi. La loi sur la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, l’intégration de l’état d’urgence dans le droit commun, la fermeture administrative des mosquées ou l’instauration des périmètres de sécurité, tous ces dispositifs n’ont de sens que s’ils viennent au soutien d’un objectif déterminé : la lutte contre l’Islam politique. Tant que l’ennemi ne sera pas officiellement ciblé, tant que les gouvernements successifs verseront dans l’accommodement raisonnable, toutes les lois votées – ou à venir – ne serviront à rien.À ne pas reconnaître l’ennemi qui se dresse devant elle, la France finira par ne combattre que des ombresSi ce n’est de simples guirlandes susceptibles d’orner un bilan sécuritaire. C’est pourquoi, plutôt qu’empiler les réformes législatives, il est urgent de reconnaître l’Islam politique comme ennemi substantiel dont l’objectif est de détruire la démocratie. Sinon, la France ne fera que pourchasser des radicalisés, simples avatars d’une idéologie à l’expansion galopante et à la sécession en marche. À ne pas reconnaître l’ennemi qui se dresse devant elle, la France finira par ne combattre que des ombres

 

Islamisme : les grands discours pèsent peu face à l'esprit de collaboration

Publié le 10/10/2019 à 14:00

https://www.marianne.net/debattons/editos/islamisme-les-grands-discours-pesent-peu-face-l-esprit-de-collaboration

Natacha Polony

Natacha Polony

Directrice de la rédaction

Cet édito est à retrouver dans le magazine numéro 1178, disponible en ligne pour 3,49 euros.

Dans le registre du lyrisme, il faut reconnaître qu'Emmanuel Macron est excellent. « Vos collègues sont tombés sous les coups d'un islam dévoyé qu'il nous revient d'éradiquer. » Les mots qui ont résonné dans la préfecture de police endeuillée auront-ils permis pour autant de répondre à l'angoisse des fonctionnaires de police et à l'incompréhension de nombreux citoyens ? Le Canard enchaîné révélait mardi soir que Mickaël Harpon, du fait de ses fonctions, aurait pu avoir accès au fichier des policiers infiltrés dans des mosquées salafistes. Et l'on se demande à quoi servent les mots, les promesses de « regarder la vérité implacable » une fois que quatre fonctionnaires de police sont morts, et que d'autres sont potentiellement en danger. Les discours à la nation sur le combat contre l' « hydre islamiste » sont sans doute nécessaires une fois qu'il est trop tard. Mais ils deviennent parfaitement vains. Et l'on ne saura même plus gré au président d'avoir pris soin, contrairement à François Hollande, de nommer l'ennemi. C'est bien le minimum.

 

INCAPACITÉ DE PENSER L'ISLAMISME

Qui ne sent pas, en effet, que le parcours du tueur de la préfecture de police nous raconte avant tout notre incapacité à penser l'islamisme dans ses dimensions individuelles et collectives, mêlant l'idéologie et la psychologie, le naufrage politique et la lâcheté générale ? On y trouve la recherche identitaire à travers une conversion à l'islam (dont le moins qu'on puisse dire est qu'elle n'est pas une démarche anodine, surtout passé la trentaine), les frustrations d'un homme considérant que son handicap freine illégitimement sa carrière, dans un contexte où l'idéologie victimaire nourrit le ressentiment de tous ceux qui estiment que la société ne fait pas assez pour eux…

Si Daech est mort, son idéologie est plus menaçante que jamais

Publié le 07/10/2019 à 17:28

https://www.marianne.net/debattons/billets/il-est-urgent-d-admettre-que-si-daesh-est-mort-son-ideologie-est-plus-menacante

Sébastien Boussois

 @boussois2

Docteur en sciences politiques, chercheur Moyen-Orient relations euro-arabes/ terrorisme et radicalisation, enseignant en relations internationales, collaborateur scientifique du CECID (Université Libre de Bruxelles), de l'OMAN (UQAM Montréal) et du CPRMV (Centre de Prévention de la Radicalisation Menant à la Violence/ Montréal) et auteur de Pays du Golfe, les dessous d'une crise mondiale (Armand Colin) et de Daech la suite (éditions de l’Aube).

L’attentat qui a eu lieu à la préfecture de police de Paris le 3 octobre dernier et qui a vu la mort de quatre dépositaires de l’autorité dans son enceinte remet sur le devant de la scène le risque djihadiste dans notre société. Et ce malgré ce que certains appellent encore la fin de Daech.Depuis la chute de Rakka, la bien-pensance politique cherchant aussi enfin à rassurer l’opinion comme elle le peut, n’a eu de cesse de saluer l’effondrement de l’État islamique donc la disparition de nos craintes fondamentales. Bien que les services de renseignement continuent largement à travailler dans l’ombre à notre sécurité, l’État peine encore à soutenir largement la prévention primaire en matière de radicalisation au sein de nos institutions, jugeant probablement l’effort coûteux pour des résultats sur du moyen et long terme plutôt hasardeux.


CHUTE DE DAECH ET SURVIE DU DJIHADISME

Mais que ce soit en Belgique, ou en France, si nous n’y mettons pas les moyens au sein même des écoles, des prisons, des administrations publiques, tout comme dans les entreprises publiques notamment des transports, comment pourrons-nous prétendre un jour que nous avions tout mis en place contre le prochain drame ? Car il semble inévitable. Ce n’est pas brandir un inutile épouvantail de la peur que de réaffirmer aujourd’hui après cet attentat à la préfecture de police de Paris, que l’idéologie djihadiste est peut-être plus forte encore depuis que le territoire matérialisé de l’EI, cristallisant tous les rêves et fantasmes des djihadistes, a implosé répandant dans le monde entier son venin sa haine et ses idées nihilistes. Pourquoi ? Car non seulement la déception de la disparition du Califat auto-proclamé pour certains, la position difficile des combattants étrangers pris entre le retour chez eux vers la case-prison et la poursuite exaltante du combat sur d’autres terres et franchises de l’internationale djihadiste, démultiplient la menace mais renforcent aussi les cibles éternelles de Daech.

Nul besoin de faire appel à des professionnels de la guérilla urbaine venus de zones de combat classiques

Parmi elles, des pays comme la France dont la loi sur la laïcité, perçue comme islamophobe, est la loi humaine numéro un à abattre. Parmi elles, des communautés comme les Chrétiens. Rappelons les attentats du Sri Lanka à Pâques qui ont visé des églises et fait plus de 300 morts. Que dire aussi de l’assassinat sauvage du Père Hamel à St Etienne-du-Rouvray en 2016 ? Parmi elles également, la police, l’armée, et tous les dépositaires de l’autorité. Les deux policiers tués à Magnanville en juin 2016 en ont été un exemple frappant et dramatique.

Mickaël Harpon, converti à l’islam et rapidement radicalisé selon les premières informations obtenues des autorités, a soigneusement préparé son acte en introduisant un couteau indétectable par les portiques de sécurité de la DRPP où il officiait comme informaticien. Daech n’est pas un échec en soi car revendiqué ou non, cet acte prolonge la main de l’organisation islamiste en agissant contre une cible privilégiée traditionnelle et selon des moyens d’action classiques de l’organisation. L’importation moyen-orientale des attaques à l’arme blanche, que l’on a pu retrouver en Israël il y a quelques années comme en Europe aussi (couteaux, machettes, etc) n’est pas inédite. Rappelons-nous de l’attaque au Carrousel du Louvre de militaires à la machette en 2017.

UN PHÉNOMÈNE SOCIAL TOTAL

Ce que l’acte de Harpon symbolise ici aujourd’hui est fort : le ver est dans le fruit. Fonctionnaire à la Préfecture, Harpon était "des leurs". Et c’est le deuxième grand succès de Daech : depuis ses débuts, l’organisation islamiste a majoritairement utilisé et instrumentalisé nos propres citoyens contre nous. Nul besoin de faire appel à des professionnels de la guérilla urbaine venus de zones de combat classiques puisque de simples individus sans formation peuvent devenir des terroristes en puissance grâce à un simple couteau. Sur 80 000 combattants, "la plus grande entreprise terroriste de l’histoire" est parvenue à capter par son idéologie et ses réseaux de recruteurs planétaires, près de 30 000 combattants étrangers. Parmi eux des milliers d’Européens. Cela valait pour ceux qui ont pu partir là-bas. Mais après 2015 et l’appel du calife al-Bagadi, à commettre des attentats sur le sol européen sans même passer par la case du rite de passage syrien, d’autres "home growers", musulmans d’origine ou convertis, se sont transformés en bombes humaines. Cela en disait déjà long.
Combien sont-ils également, aujourd’hui, à se radicaliser progressivement dans le cadre de l’entreprise et notamment dans les transports publics ?

Mais depuis, la radicalisation ne touche plus uniquement des jeunes Européens d’origine immigrée et désœuvrés. Non, elle touche aussi des jeunes issus de familles de notaires, d’avocats, de médecins, comme ce fut le cas des jeunes pieds nickelés de la cellule de Vesoul partis en terre de Cham en 2014 et qui ne sont jamais revenus. Seul Romain Garnier, un de ses leaders et une des voix de Daech, a été arrêté récemment par les Kurdes sur place. Pire donc encore aujourd’hui, et preuve que l’idéologie survit et se recycle tout en continuant à se diffuser par frustration haine et conviction : des militaires comme ce fut le cas de cet ancien soldat radicalisé arrêté en 2017 près de la base d’Evreux et qui avait fait allégeance à l’État islamique. Ou encore ces gardiens de prison dans les établissements pénitentiaires de Forest ou de Saint-Gilles en Belgique radicalisés par des détenus, ou encore dans la prison d’Arles en 2016.

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Et maintenant aujourd’hui, des fonctionnaires travaillant au sein même de la préfecture de police de Paris comme Mickaël Harpon, habilité secret-défense qui a tué froidement 4 de ses collègues.Ainsi, la radicalisation des personnes majeures a pris une nouvelle dimension depuis quelque temps puisqu’elle ne concerne plus uniquement les réfractaires à l’autorité de l’État, mais aussi ses propres défenseurs! En cela, il y a de quoi être très inquiet et être poussé à ne surtout pas baisser la garde. Car, dans nos sociétés, la contamination peut être très rapide et provoquer de gros dégâts. Combien sont-ils également, aujourd’hui, à se radicaliser progressivement dans le cadre de l’entreprise et notamment dans les transports publics ?

L’acte commis par Mickaël Harpon doit pousser l’État à ne pas
uniquement agir sur la plan du sécuritaire

Que dire des réseaux parallèles de salafistes découverts sur certaines lignes de bus de la RATP ? Samy Amimour, l’un des terroristes du Bataclan en 2015, était fonctionnaire de la régie et a probablement fréquenté certains de ses collègues radicalisés au fameux dépôt de Pavillon-sous-Bois. Quid encore des sociétés de bagagistes de l’aéroport de Roissy-Charles-de- Gaulle ou de Bruxelles-National dont on a retrouvé des éléments radicalisés et qui travaillent dans un secteur on ne peut plus sensible ? Quid encore des mosquées salafistes secrètes découvertes sur place ? Comment oublier même que les médias belges avaient rapporté des signes de joie de la part de certains bagagistes de Bruxelles-National lors des attentats de Paris en 2015 ? Les syndicats de police de l’aéroport avaient évalué le nombre d’employés bagagistes suspectés de radicalisation à près de... 50 en mars 2016, après les attentats qui avaient frappé Zaventem. En Suisse, La Tribune de Genève avait rapporté, fin 2015, l’arrestation d’un bagagiste de l’aéroport de Genève fiché S : ce dernier avait accès au saint des saints de l’aéroport de Genève, à la zone ultra protégée des avions. Un bagagiste de Cointrin se trouve aujourd’hui en prison, soupçonné d’avoir participé à une prise d’otages.

Nous ne sommes plus du tout au stade des voyous d’origine immigrée en crise identitaire, scolaire et économique, qui commettent des attentats sur notre sol mais bien dans un phénomène social total qui gagne insidieusement toutes les strates de la société. En cela, l’acte commis par Mickaël Harpon doit pousser l’État à ne pas uniquement agir sur le plan du sécuritaire mais bien pousser le gouvernement à largement soutenir la prévention des radicalisations. Et nous disons bien maintenant de toutes, car les prochains actes surviendront à un moment ou à un autre dans un contexte de polarisation. Et ils viendront d’éléments d’ultra-droite ou même d’ultra-gauche.