Olivier Guitta, directeur général de
GlobalStrat, société de conseil en sécurité et en risques géopolitiques
pour les entreprises et les gouvernements
Publié jeudi 17 octobre 2019 à 15:25, modifié jeudi 17 octobre 2019 à
15:26.
OPINION. A la suite de l’attaque contre la préfecture de police de Paris,
dont l’assaillant fréquentait depuis des années une mosquée contrôlée par
les Frères musulmans, le consultant Olivier Guitta souligne le rôle des
mosquées et des imams dans ces passages à l’acte.
Le 3 octobre, un
informaticien à la direction du renseignement de la préfecture
de police de Paris a poignardé et tué quatre de ses collègues,
décapitant une des victimes. Le tueur, qui était dans la police depuis seize
ans et porteur d’une habilitation secret-défense, s’était converti à l’islam
il y a quelques années. Il avait montré des signes de radicalisation,
exprimant son soutien aux actions islamistes, sa réticence à avoir des
contacts avec les femmes et la justification de l’attentat de Charlie
Hebdo en 2015. Les autorités ont trouvé dans une de ses clés USB des
vidéos de décapitation de l’État islamique ainsi que la preuve d’un contact
étroit avec un imam salafiste. Encore une fois, dans le cas de cette
dernière attaque djihadiste en Europe, il y a un lien avec une mosquée
radicale.En
effet, le djihadiste français à l’origine de l’attaque contre la préfecture
de police de Paris fréquentait depuis des années une mosquée contrôlée par
les Frères musulmans. Par ailleurs, l’un des imams officiant à la mosquée de
Gonesse était fiché S depuis 2015, un an après son arrivée du Maroc. Malgré
cela, il a été autorisé à rester en France et à diffuser sa propagande
fondamentaliste.
Derrière chaque terroriste, un imam
Les exemples de mosquées radicales liées au djihad se comptent par dizaines:
de la mosquée de Hambourg où certains des pirates de l’air du 11-Septembre
se sont radicalisés, à la mosquée de Finsbury à Londres, qui fut l’aimant de
beaucoup de figures djihadistes au début des années 2000. Comme l’a dit
Louis Caprioli, ancien chef de la lutte contre le terrorisme au sein des
services de renseignement français, «derrière chaque terroriste musulman, il
y a un imam radical». Pour preuve, les frères Kouachi, qui ont perpétré
l’attentat contre Charlie
Hebdo, ont été radicalisés dans une mosquée du XIXe arrondissement de
Paris. Aussi l’un des kamikazes français de l’État islamique qui a participé
aux attaques de novembre 2015 a été radicalisé dans une mosquée de Chartres. Même dans la tranquille Suisse, la mosquée
du Petit-Saconnex à Genève a été un vecteur de radicalisation.
Ce phénomène n’est pas exclusif à la France: même dans la tranquille Suisse,
la mosquée du Petit-Saconnex à Genève a été un vecteur de radicalisation. Le
djihadiste suisse le plus dangereux présent en Syrie a été radicalisé
là-bas, ainsi qu’un des ressortissants suisses arrêtés dans le cadre du
meurtre en 2018 de deux jeunes filles scandinaves au Maroc. Incidemment,
deux des imams qui officiaient dans cette mosquée étaient fichés S. Toujours
en Suisse, l’imam de la mosquée de Winterthur a été arrêté pour avoir appelé
à tuer des musulmans qui n’assistent pas aux prières. Au
Royaume-Uni, la mosquée de Manchester, que Salman Abedi, le djihadiste de
l’Etat islamique qui a perpétré l’attaque à la Manchester Arena, a
fréquenté, était dirigée par un imam radical qui appelait au djihad armé et
a poussé cinq autres jeunes à rejoindre l’EI. Aussi, l’imam radical d’une
mosquée de Birmingham, où un des terroristes du Bataclan priait, a été
arrêté pour avoir recruté des djihadistes. En Belgique, en 2018, l’OCAM,
l’entité gouvernementale chargée d’évaluer le niveau de la menace, a averti
que l’école de la mosquée de Bruxelles enseignait le djihad armé. Au Kosovo,
22 mosquées appelaient ouvertement en 2015 à rejoindre le djihad en Syrie.
Cibler les «généraux
Mais de toutes les affaires
du djihad européen, l’attaque terroriste de Barcelone/Ripoll est d’une
certaine manière la plus étonnante. Le cerveau derrière l’attaque était
l’imam marocain de la mosquée de Ripoll. Il était lié à l’attaque d’Al-Qaida
à Madrid en 2004 et il est mort en manipulant des explosifs la veille de
l’attentat de Barcelone. Plutôt que de se contenter de radicaliser ses
fidèles, il avait décidé d’être le chef d’une cellule opérationnelle de
l’État islamique et de mourir en «martyr».La Commission sur le
terrorisme du Parlement européen conseille judicieusement de mettre en place
une liste à partager entre les pays européens de tous les imams radicaux. En
effet, nombreux sont ceux-ci prêchant encore en Europe sans être dérangés. À
la source de cette radicalisation se trouvent des mouvements islamistes très
bien financés et extrêmement bien organisés. Par exemple, le salafisme s’est
récemment développé en Europe: en Belgique, où on a répertorié plus de 100
organisations salafistes actives dans le pays; en France, où le nombre de
mosquées salafistes a augmenté de 15 en 1990 à 60 en 2015 puis 132 en
2018. L’Office allemand pour la protection de la Constitution a récemment
averti que la plus grande et plus influente organisation islamiste, les
Frères musulmans, constitue désormais un plus grand danger pour l’Allemagne
que l’État islamique et Al-Qaida.Lutter contre le terrorisme
djihadiste ne peut pas se faire seulement en se concentrant sur les
«soldats», mais doit aussi cibler les «généraux». En fait l’incitation au
terrorisme a un effet multiplicateur : un prédicateur intelligent peut
convaincre des dizaines ou des centaines de recrues. Pour faire une analogie
avec la lutte contre la drogue, devrions-nous blâmer seulement le
consommateur et oublier le trafiquant ? Malheureusement, pour le moment
l’Europe laisse le dealer tranquille…
La France n'avancera pas tant qu'elle ne désignera pas l'ennemi :
l'islamisme
L’œuvre d’un déséquilibré, le résultat d’un repli sur soi jusqu’au passage à
l’acte, le fruit d’un esprit fragile tombé dans la radicalisation. Depuis
janvier 2015 et l’attentat contre Charlie Hebdo, le récit tourne en
boucle. À chaque nouvelle attaque, c’est la même histoire. D’abord, une
prise de distance jusqu’à la marginalisation : premier "signal faible" d’une
rupture avec l’environnement social, qu’il soit scolaire, professionnel ou
familial. Ensuite, la conversion à l’Islam et la découverte de sa branche
radicale : pour Mickaël Harpon, l’égorgeur de la Préfecture de Paris, ce fut
la fréquentation de la mosquée de Gonesse, où officiait un imam fiché S du
nom d’Ahmed Hilali.Les choses bougent à un rythme d’escargotConcomitamment,
le rejet des valeurs démocratiques et républicaines : discours victimaires,
complotistes ou revanchards à l’égard de l’Occident, refus du contact avec
les femmes, aveux publics de satisfaction à l’endroit des attentats du 11
Septembre ou du massacre de Charlie Hebdo. Étape terminale : le
passage à l’acte, la bascule dans le chaos et la mort par tous les moyens –
armes blanches, armes à feu, voitures béliers. Tel est le tragique et
répétitif scénario, faisant du terroriste un ennemi par degré : un individu
quittant pas à pas les rives de la normalité, de la raison et de la
conscience autonome pour prendre in fine les armes contre son ancien
monde d’appartenance.En somme, l’histoire d’un dérèglement social
et psychique, d’une dérive graduelle jusqu’à l’adoption d’une idéologie de
repli incarnée par un Islam dévoyé et mortifère. Sous ce prisme, le
terrorisme islamiste n’est rien d’autre qu’une dégénérescence individuelle
menée à terme, une mutation progressive de la vie vers la mort,
l’aboutissement d’un cheminement vers le nihilisme. Tel a longtemps été le
portrait des Français partis en Syrie grossir les rangs de Daech. Tel est
aujourd’hui encore le profil de l’ennemi intérieur, à l’image de Mickaël
Harpon.
Un tel récit achoppe toutefois sur le réel : il dit certes quelque chose des
terroristes, mais strictement rien de l’islamisme. Il rend certes
partiellement compte du schéma à l’œuvre, des conditions de l’enrôlement, de
la fascination exercée par une idéologie, mais il reste à la fois simpliste
et rassurant. Rassurant car il résume le terroriste à un rejeton déviant de
notre propre système, récupéré puis corrompu par un Islam littéral donc
obscurantiste. En somme, un exclu aux motivations aussi meurtrières
qu’incompréhensibles et barbares. Simpliste car il se focalise
essentiellement sur des figures, au mépris de l’idéologie
politico-religieuse qui les sous-tend.Salman Rushdie a beau tirer
la sonnette d’alarme face à "l’aveuglement stupide" de l’Occident,
Pascal Bruckner souligner combien "le
terrorisme et l’intégrisme sont des frères jumeaux qui s’épaulent et
agissent par des moyens différents[1]",
Boualem Sensal pointer du doigt l’inaction des gouvernements européens pour
contrer l’islamisation en marche, ou Alain Finkielkaut s’inquiéter de la
sécession à l’œuvre dans une multitude de quartiers, rien n’y fait. Les
choses bougent à un rythme d’escargot, pour deux raisons principales.La
première, qui crève les yeux, est évidemment la "maladie" du "dénislamisme".
Soit, pour reprendre les termes d’Alexis Brézet, "cet
étrange tour d’esprit qui fait toujours reconnaître un déséquilibré derrière
chaque attentat perpétré sur le sol national[2]".
Le procès en islamophobie a paralysé le débat public, au nom d’un seul et
unique mot d’ordre : pas d’amalgame entre l’islamisme et les musulmans. Le
ministre de l’Intérieur l’a une énième fois martelé devant la Commission des
lois du Sénat le 10 octobre dernier : "Personne ne fait de lien entre la
religion musulmane et le terrorisme, ni même entre la religion musulmane, la
radicalisation et le terrorisme.".
Toute véritable stratégie de défense repose sur un postulat fondamental : la
désignation de l’ennemiÉvidemment, pas plus qu’hier ne
sommeillait en chaque Allemand un nazi en puissance, ne sommeille
aujourd’hui en chaque musulman un terroriste potentiel. En revanche, à force
de ne pas déduire des "Allahu akbar" lancés à la face du monde qu’il s’agit
d’Islam radical, à force de brouiller le message pourtant limpide que le
terrorisme nous adresse, la tétanie s’installe. C’est ce qu’a démontré avec
fracas l’attaque contre la Préfecture de Paris : les dysfonctionnements dans
la chaîne de commandement sont le signe d’une machine administrative
paralysée, qui n’ose réagir alors même que les signes de radicalisation du
meurtrier étaient connus et relayés.
Mais une deuxième raison, plus profonde encore, explique l’impasse actuelle.
Toute véritable stratégie de défense repose sur un postulat fondamental : la
désignation de l’ennemi. La loi sur la sécurité intérieure et la lutte
contre le terrorisme, l’intégration de l’état d’urgence dans le droit
commun, la fermeture administrative des mosquées ou l’instauration des
périmètres de sécurité, tous ces dispositifs n’ont de sens que s’ils
viennent au soutien d’un objectif déterminé : la lutte contre l’Islam
politique. Tant que l’ennemi ne sera pas officiellement ciblé, tant que les
gouvernements successifs verseront dans l’accommodement raisonnable, toutes
les lois votées – ou à venir – ne serviront à rien.À ne pas
reconnaître l’ennemi qui se dresse devant elle, la France finira par ne
combattre que des ombresSi ce n’est de simples guirlandes
susceptibles d’orner un bilan sécuritaire. C’est pourquoi, plutôt qu’empiler
les réformes législatives, il est urgent de reconnaître l’Islam politique
comme ennemi substantiel dont l’objectif est de détruire la démocratie.
Sinon, la France ne fera que pourchasser des radicalisés, simples avatars
d’une idéologie à l’expansion galopante et à la sécession en marche. À ne
pas reconnaître l’ennemi qui se dresse devant elle, la France finira par ne
combattre que des ombres
Islamisme : les grands discours pèsent peu face à l'esprit de
collaboration
Cet édito est à retrouver dans le
magazine numéro 1178, disponible en ligne pour 3,49 euros.
Dans le registre du lyrisme, il faut reconnaître qu'Emmanuel Macron est
excellent. « Vos collègues sont tombés
sous les coups d'un islam dévoyé qu'il nous revient d'éradiquer. » Les
mots qui ont résonné dans la préfecture de police endeuillée auront-ils
permis pour autant de répondre à l'angoisse des fonctionnaires de police et
à l'incompréhension de nombreux citoyens ? Le
Canard enchaîné révélait mardi soir que Mickaël Harpon, du fait de ses
fonctions, aurait pu avoir accès au fichier des policiers infiltrés dans des
mosquées salafistes. Et l'on se demande à quoi servent les mots, les
promesses de « regarder la vérité
implacable » une fois que quatre fonctionnaires de police sont morts, et
que d'autres sont potentiellement en danger. Les discours à la nation sur le
combat contre l' « hydre islamiste » sont
sans doute nécessaires une fois qu'il est trop tard. Mais ils deviennent
parfaitement vains. Et l'on ne saura même plus gré au président d'avoir pris
soin, contrairement à François Hollande, de nommer l'ennemi. C'est bien le
minimum.
INCAPACITÉ DE PENSER L'ISLAMISME
Qui ne sent pas, en effet, que le parcours du tueur de la préfecture de
police nous raconte avant tout notre incapacité à penser l'islamisme dans
ses dimensions individuelles et collectives, mêlant l'idéologie et la
psychologie, le naufrage politique et la lâcheté générale ? On y trouve la
recherche identitaire à travers une conversion à l'islam (dont le moins
qu'on puisse dire est qu'elle n'est pas une démarche anodine, surtout passé
la trentaine), les frustrations d'un homme considérant que son handicap
freine illégitimement sa carrière, dans un contexte où l'idéologie
victimaire nourrit le ressentiment de tous ceux qui estiment que la société
ne fait pas assez pour eux… Si Daech est mort, son idéologie est plus menaçante que jamais
Docteur en sciences politiques, chercheur Moyen-Orient relations
euro-arabes/ terrorisme et radicalisation, enseignant en relations
internationales, collaborateur scientifique du CECID (Université Libre de
Bruxelles), de l'OMAN (UQAM Montréal) et du CPRMV (Centre de Prévention de
la Radicalisation Menant à la Violence/ Montréal) et auteur de Pays
du Golfe, les dessous d'une crise mondiale (Armand
Colin) et de Daech
la suite (éditions
de l’Aube).
L’attentat qui a eu lieu à la préfecture de police de Paris le 3 octobre
dernier et qui a vu la mort de quatre dépositaires de l’autorité dans son
enceinte remet sur le devant de la scène le risque djihadiste dans notre
société. Et ce malgré ce que certains appellent encore la fin de Daech.Depuis
la chute de Rakka, la bien-pensance politique cherchant aussi enfin à
rassurer l’opinion comme elle le peut, n’a eu de cesse de saluer
l’effondrement de l’État islamique donc la disparition de nos craintes
fondamentales. Bien que les services de renseignement continuent largement à
travailler dans l’ombre à notre sécurité, l’État peine encore à soutenir
largement la prévention primaire en matière de radicalisation au sein de nos
institutions, jugeant probablement l’effort coûteux pour des résultats sur
du moyen et long terme plutôt hasardeux.
CHUTE DE DAECH ET SURVIE DU DJIHADISME
Mais que ce soit en Belgique, ou en France, si nous n’y mettons pas les
moyens au sein même des écoles, des prisons, des administrations publiques,
tout comme dans les entreprises publiques notamment des transports, comment
pourrons-nous prétendre un jour que nous avions tout mis en place contre le
prochain drame ? Car il semble inévitable. Ce n’est pas brandir un inutile
épouvantail de la peur que de réaffirmer aujourd’hui après cet attentat à la
préfecture de police de Paris, que l’idéologie djihadiste est peut-être plus
forte encore depuis que le territoire matérialisé de l’EI, cristallisant
tous les rêves et fantasmes des djihadistes, a implosé répandant dans le
monde entier son venin sa haine et ses idées nihilistes. Pourquoi ? Car non
seulement la déception de la disparition du Califat auto-proclamé pour
certains, la position difficile des combattants étrangers pris entre le
retour chez eux vers la case-prison et la poursuite exaltante du combat sur
d’autres terres et franchises de l’internationale djihadiste, démultiplient
la menace mais renforcent aussi les cibles éternelles de Daech.
Nul besoin de faire appel à des professionnels de la
guérilla urbaine venus de zones de combat classiques
Parmi elles, des pays comme la France dont la loi sur la laïcité, perçue
comme islamophobe, est la loi humaine numéro un à abattre. Parmi elles, des
communautés comme les Chrétiens. Rappelons les attentats du Sri Lanka à
Pâques qui ont visé des églises et fait plus de 300 morts. Que dire aussi de
l’assassinat sauvage du Père
Hamel à St Etienne-du-Rouvray en 2016 ? Parmi elles également, la
police, l’armée, et tous les dépositaires de l’autorité. Les deux
policiers tués à Magnanville en juin 2016 en ont été un exemple
frappant et dramatique.
Mickaël Harpon, converti à l’islam et rapidement radicalisé selon les
premières informations obtenues des autorités, a soigneusement préparé son
acte en introduisant un couteau indétectable par les portiques de sécurité
de la DRPP où il officiait comme informaticien. Daech n’est pas un échec en
soi car revendiqué ou non, cet acte prolonge la main de l’organisation
islamiste en agissant contre une cible privilégiée traditionnelle et selon
des moyens d’action classiques de l’organisation. L’importation
moyen-orientale des attaques à l’arme blanche, que l’on a pu retrouver en
Israël il y a quelques années comme en Europe aussi (couteaux, machettes,
etc) n’est pas inédite. Rappelons-nous de l’attaque au Carrousel
du Louvre de militaires à la machette en 2017.
UN PHÉNOMÈNE SOCIAL TOTAL
Ce que l’acte de Harpon symbolise ici aujourd’hui est fort : le ver est dans
le fruit. Fonctionnaire à la Préfecture, Harpon était "des leurs". Et c’est
le deuxième grand succès de Daech : depuis ses débuts, l’organisation
islamiste a majoritairement utilisé et instrumentalisé nos propres citoyens
contre nous. Nul besoin de faire appel à des professionnels de la guérilla
urbaine venus de zones de combat classiques puisque de simples individus
sans formation peuvent devenir des terroristes en puissance grâce à un
simple couteau. Sur 80 000 combattants, "la plus grande entreprise
terroriste de l’histoire" est parvenue à capter par son idéologie et ses
réseaux de recruteurs planétaires, près de 30 000 combattants étrangers.
Parmi eux des milliers d’Européens. Cela valait pour ceux qui ont pu partir
là-bas. Mais après 2015 et l’appel du calife al-Bagadi, à commettre des
attentats sur le sol européen sans même passer par la case du rite de
passage syrien, d’autres "home growers", musulmans d’origine ou convertis,
se sont transformés en bombes humaines. Cela en disait déjà long.
Combien sont-ils également, aujourd’hui, à se radicaliser progressivement
dans le cadre de l’entreprise et notamment dans les transports publics ?
Mais depuis, la radicalisation ne touche plus uniquement des jeunes
Européens d’origine immigrée et désœuvrés. Non, elle touche aussi des jeunes
issus de familles de notaires, d’avocats, de médecins, comme ce fut le cas
des jeunes pieds nickelés de la cellule de Vesoul partis en terre de Cham en
2014 et qui ne sont jamais revenus. Seul Romain Garnier, un de ses leaders
et une des voix de Daech, a été arrêté récemment par les Kurdes sur place.
Pire donc encore aujourd’hui, et preuve que l’idéologie survit et se recycle
tout en continuant à se diffuser par frustration haine et conviction : des
militaires comme ce fut le cas de cet ancien soldat radicalisé arrêté en
2017 près de la base d’Evreux et qui avait fait allégeance à l’État
islamique. Ou encore ces gardiens de prison dans les établissements
pénitentiaires de Forest ou de Saint-Gilles en Belgique radicalisés par des
détenus, ou encore dans la prison d’Arles en 2016.
Et maintenant aujourd’hui, des fonctionnaires travaillant au sein même de la
préfecture de police de Paris comme Mickaël Harpon, habilité secret-défense
qui a tué froidement 4 de ses collègues.Ainsi, la radicalisation des
personnes majeures a pris une nouvelle dimension depuis quelque temps
puisqu’elle ne concerne plus uniquement les réfractaires à l’autorité de
l’État, mais aussi ses propres défenseurs! En cela, il y a de quoi être
très inquiet et être poussé à ne surtout pas baisser la garde. Car, dans nos
sociétés, la contamination peut être très rapide et provoquer de gros
dégâts. Combien sont-ils également, aujourd’hui, à se radicaliser
progressivement dans le cadre de l’entreprise et notamment dans les
transports publics ?
L’acte commis par Mickaël Harpon doit pousser l’État à ne pas
uniquement agir sur la plan du sécuritaire
Que dire des réseaux parallèles de salafistes découverts sur certaines
lignes de bus de la RATP ? Samy Amimour, l’un des terroristes du Bataclan en
2015, était fonctionnaire de la régie et a probablement fréquenté certains
de ses collègues radicalisés au fameux dépôt de Pavillon-sous-Bois. Quid
encore des sociétés de bagagistes de l’aéroport de Roissy-Charles-de- Gaulle
ou de Bruxelles-National dont on a retrouvé des éléments radicalisés et qui
travaillent dans un secteur on ne peut plus sensible ? Quid encore des
mosquées salafistes secrètes découvertes sur place ? Comment oublier même
que les médias belges avaient rapporté des signes de joie de la part de
certains bagagistes de Bruxelles-National lors des attentats de Paris en
2015 ? Les syndicats de police de l’aéroport avaient évalué le nombre
d’employés bagagistes suspectés de radicalisation à près de... 50 en
mars 2016, après les attentats qui avaient frappé Zaventem. En Suisse, La Tribune
de Genèveavait rapporté, fin 2015, l’arrestation d’un
bagagiste de l’aéroport de Genève fiché S : ce dernier avait accès au
saint des saints de l’aéroport de Genève, à la zone ultra protégée des
avions. Un bagagiste de Cointrin se trouve aujourd’hui en prison,
soupçonné d’avoir participé à une prise d’otages.
Nous ne sommes plus du tout au stade des voyous d’origine immigrée en crise
identitaire, scolaire et économique, qui commettent des attentats sur notre
sol mais bien dans un phénomène social total qui gagne insidieusement
toutes les strates de la société. En cela, l’acte commis par Mickaël
Harpon doit pousser l’État à ne pas uniquement agir sur le plan du
sécuritaire mais bien pousser le gouvernement à largement soutenir la
prévention des radicalisations. Et nous disons bien maintenant de toutes,
car les prochains actes surviendront à un moment ou à un autre dans un
contexte de polarisation. Et ils viendront d’éléments d’ultra-droite ou même
d’ultra-gauche.